[Pour C.G jusqu’à la fin du XVIIIe, le partage « raciste » passait entre « humanité » et « non humanité », la « non-humanité » pouvant accéder à « l’humanité » : ce que C.G appelle la « conversion »]
p.68 (le racisme européen apparait à la fin du XVIII, confusion entre histoire et biologie) : « Il semble que sur une période de cent cinquante ans l’Europe ait vécu un approfondissement de sa panique en face des groupes et peuples différents, D’abord fascinés par l’étrangeté des autres, elle la transforme peu à peu en hétérogénéité et se retrouve enfin dans la crainte ». [Pour quoi l’Europe ? Parce qu’universalité du MPC, les autres civilisations n’ont pas ce problème.]
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Les « races concrètes », objet de la structure raciste : 10. 14. 15 (la race une spécification biologique héréditaire, différent de vieux, femmes, handicapés, etc. qui ne sont pas héréditaires) ;
« Les races concrètes y prennent figure d’objet réel de la structure sociale raciste. (…) Ces remarques ne tendent en rien à éliminer une définition de la race dans le domaine propre des sciences biologiques. (…) L’organisation raciste de notre pensée est la conséquence de l’adoption sans critique que nous faisons du caractère biologique de la race en le transportant tel quel dans l’univers social sans rétablir la médiation du sens. » (10−11)
« Ce qui est désigné par le terme race est une modalité particulière du phénomène biologique, celle de la constitution en groupe se perpétuant lui-même par la génération, groupe constitué de géniteurs et d’enfants parcourant les différents âges de la vie. » (15)
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Guillaumin (CG) envisage à titre d’hypothèse de travail que le culturel l’emporte sur le biologique comme distinction raciale :
« Une société où le culturel serait une notion plus fondamentale que le biologique et primerait sur lui serait probablement, du point de vue du racisme profondément différente. » (20) ; [D’où possibilité d’islam comme marqueur racial].
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Le problème c’est le racisant (le catégorisant, p.298) : 18 (Sartre). 64. 116. 93 (note) :
« Il s’agit donc d’un renversement de la perspective habituelle (généralité du racisant / spécificité des racismes) en faveur de l’optique : généralité des racismes / spécificité du racisant. » (18)
Cependant : « L’analyse de Sartre qui fait du juif l’homme fabriqué comme tel pour et par le groupe dominant, analyse valable pour toutes les formes de racisme, ne peut s’asseoir d’une façon immédiatement convaincante que sur l’antisémitisme où la différence physique est douteuse et ne peut pas être admise comme évidente. Cette analyse aurait été frappée de caducité, eu égard à notre univers symbolique qui prend ses catégories pour des réalités matérielles, si elle s’était donnée pour objet la négrophobie. » (note, p.93)
Que les caractères physiques sont objectivement discriminants est « une pétition de réalité » très difficile à discuter – (93) [Il faut passer par le signe : le caractère physique est un signifiant différent du signifié qu’il exprime.]
« La spécificité du groupe racisant est considérée comme une donnée implicite, rarement étudiée en tant que telle. » (116) [C’est un groupe absent]
Mais nous avons là le problème politique actuel du groupe dominant en France qui doit se définir.
Le racisme ne réside pas dans la péjoration ou la mélioration dans le traitement de l’autre mais dans l’activité de catégorisation elle-même : « La particularisation apparaît comme l’acte fondamental des racismes (« acte fondamental » n’explique pas la raison de cet acte, nda) à ceci près que la généralisation de soi-même en est corrélative et inséparable. Le sens raciste jaillit de cette rencontre. » (285). Donc le problème c’est toujours le racisant l’activité de catégorisation est applicable aux autres mais non à soi-même (sauf crise du racisme : est-ce la situation actuelle ?).
Voir aussi plus loin sur le passage à l’islam.
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L’historicité hiérarchique : 36 et sq.
Jusqu’au XVIIIe, les sciences sociales sont normatives mais sans souci d’ordonner temporellement les faits et les civilisations lointaines, « l’histoire est absente de la pensée sociale » (36). « Au contraire, le XIXe accordera une place privilégiée au déroulement temporel de la vie des sociétés. L’ “exotisme” cédera la place à la continuité temporelle » (36). [L’hétérogénéité des sociétés reconnue par le XVIIIe est confrontée à un souci classificatoire et de filiation temporelle]
« Le caractère proprement social de l’entreprise humaine, l’explication du fonctionnement des sociétés à partir d’elles-mêmes vont devenir des concepts inopérants. Parallèlement à l’entreprise de Comte et Marx, le courant majeur de l’appel à la nature se développe dans les sciences humaines. » (37)
[Mais, même Comte et Marx n’échappe pas à une historicisation hiérarchique, malgré tous les doutes de Marx : voir Marx aux antipodes]
« Gobineau qui a systématisé la théorie de la cause biologique dans ce qu’il appela l’histoire sociale, est un nom important de cette évolution. Ses ambitions sont identiques à celles de Marx et de Comte, quant à la généralité de visée : fournir un tableau cohérent de l’ensemble des sociétés. » (38)
[Mais Comte et Marx ont fait de l’évolution un phénomène interne à la mécanique sociale et ne renvoient pas à des concepts biologiques] C.G souligne que l’œuvre de Marx en se maintenant dans une optique socio-historique est dans son temps profondément marginale.
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L’impossible intégration (la question de l’autre) :
« “Je n’ai pas à être ce que vous voulez que je sois…” dit Cassius Clay (…) vous voulez m’imposer la différence que vous me désignez comme étant ma différence d’avec vous et qui me définirait entièrement. » (107)
[Je n’ai pas à être ce que vous voulez que je sois (« je ne suis pas votre nègre » James Baldwin) : c’est-à-dire à la fois le refus de la différence que vous dites être la mienne et fondée sur cette différence que vous avez définie, vous me demandez de la gommer au nom de mon intégration. Tout le deal est piégé vous me demandez de m’intégrer au nom de la disparition d’une différence que vous avez-vous-même énoncée comme me définissant.]
« Les “intégrations” dont la proclamation a correspondu à beaucoup de révoltes étaient des mots que les faits démentaient. Ces intégrations sont en fait, le rapport le moins voulu, elles n’apparaissent d’ailleurs que tardivement, comme système de défense du groupe majoritaire devant le surgissement de la force minoritaire. Cette conduite s’apparente à l’agressivité tout en s’en distinguant par le mode d’application : en l’intégrant, il s’agit bien de supprimer l’autre. Mais le refus du passage à l’acte montre que l’impératif est celui du maintien de la particularité de l’autre, de la différence et de l’encerclement des minoritaires dans cette différence. » (107)
« L’existence d’un groupe objectif reconnu pour tel, majoritaire ou minoritaire, ne se produit qu’au sein d’un univers commun dont la codification est la même pour l’ensemble de la société. Ce n’est pas l’hétérogénéité des valeurs qui marque l’existence d’une majorité et d’une minorité, mais bien l’homogénéité du système de valeurs. (…) L’existence des groupes majoritaire et minoritaire se fonde, au-delà du pouvoir, sur un univers symbolique commun. Le minoritaire se trouve en fait intégré dans le système symbolique défini par le majoritaire quels que soient par ailleurs ses essais ou ses échecs à se constituer un système propre. Plus encore, ses efforts pour se définir un tel système sont orientés et canalisés par le majoritaire ; il ne peut se définir sur des références internes et indépendantes, il doit le faire à partir des références que lui offre le système majoritaire. L’histoire récente des minorités en offre de bons exemples : le Black Power, le “féminisme”, la “négritude” sont des systèmes d’opposition, des “réponses”. La violence de cette contrainte qui poursuit le minoritaire jusqu’à lui imposer les termes mêmes de sa révolte et le maintenir dans l’ornière d’une définition préétablie par la société qu’il conteste échappe trop souvent. On ne peut donc dire à aucun moment qu’il existe des groupes (ou des systèmes) hétérogènes, mais bien un système de référence par rapport auquel les groupes réels – tant minoritaires que majoritaire – se définissent différemment » (125)
[Dynamique : du piège à son dépassement : Le refus de l’intégration est pris dans le même piège que celui que définit l’intégration ou même la revendication de l’égalité qui se réfère à la norme dominante (les contradictions et l’impasse des Marches). Lutte nécessaire, mais si la révolte et la lutte du minoritaire est inéluctable et nécessaire, elle est un nœud de contradictions et une impasse tant qu’elle se délimite et s’effectue sur l’identité définie et reconnue socialement construite par le groupe majoritaire. C’est cependant dans ces contradictions que peut surgir la remise en cause même des identités par l’insatisfaction vis-à-vis de soi. Du fait que cette identité est celle que vous voulez que je sois]
« Considérer le racisme comme un schéma de simple mise en présence de groupes hétérogènes (ennemis ou non) néglige donc le fait qu’ils s’insèrent dans une totalité. Le système catégoriel n’est pas le résultat d’un contact entre pures hétérogénéités, que seul le hasard géographique mettrait en présence, mais l’expression d’un ordre symbolique qui recouvre l’ensemble. Une société raciste n’est pas la collection composite de groupes hétérogènes mais fonctionne suivant un système de relation entre groupes de pouvoir inégal ; elle est système d’antagonismes et non juxtaposition de groupes. Dans les phénomènes racistes, la réalité organique de la liaison est un facteur capital, les groupes étant profondément dépendants les uns des autres dans l’univers symbolique tout comme dans la réalité concrète. Aucun n’est lisible si on l’isole de la relation qui, précisément, le constitue » (125−126). Toujours une référence à la norme qui fonctionne comme un tiers vis-à-vis aussi bien du groupe dominant que du groupe dominé.
[C.G met bien en lumière la connexion entre implication réciproque et subsomption, donc la double injonction impossible de l’intégration (ou de son refus qui repose et fonctionne sur les mêmes bases). Cependant C.G ne donne pas de contenu à cette « totalité » : la colonisation, la mondialisation du MPC, le recrutement de main-d’œuvre. C’est-à-dire finalement le fonctionnement du MPC qui est cette totalité subsumante et par là normalisante comme « ordre symbolique », c’est-à-dire unifiant la relation aux rapports de production comme idéologie dominante. C.G considère toujours les « groupes » comme des « déjà là » et ne s’intéresse qu’à leur interaction et jamais à leur production, ce qui laisse l’interaction assez pauvre.]
Un groupe peut disparaitre comme « groupe minoritaire mis à part »
« En effet les revendications minoritaires deviennent de plus en plus précises et dures à mesure qu’elles obtiennent un début de satisfaction : la révolte ne devient possible qu’à partir d’une certaine insertion dans le contexte majoritaire, insertion qui est l’un des effets premiers de la lutte, celle-ci créant de facto une situation commune. » (170) [très important, cela a fonctionné pour les Italiens dans le Midi y compris de par les conflits internes]
[Si l’on considère l’évolution de la situation de la population italienne dans le Sud de la France, on constate que c’est dans les luttes contre les patrons et paradoxalement, encore plus dans les affrontements internes à la classe ouvrière que se crée une situation ouvrière commune. L’intégration n’est pas un jeu sur une « différence » qui lentement s’effacerait, en fait ce n’est pas une « intégration ». La différence subsiste (en se modifiant), mais elle devient un signifiant sans signifié, elle n’est plus le signe de rien (en mai 2017, à Marseille, le public d’une semaine de musique sicilienne était en quasi-totalité composé de Siciliens ou de petits-enfants et arrières petits-enfants de Siciliens). Pour les Italiens du début du siècle précédent, c’est l’expansion industrielle, la massification du salariat, l’intégration de la reproduction de la force de travail dans le cycle propre du capital qui a enlevé tout sens au signifiant de la différence. Ce dont il s’agit c’est de la labilité des constructions raciales résultat de la conjonction de catégories fonctionnelles du capital entre elles à l’intérieur de leur cours historique dans lequel leur combinaison se modifie. L’intégration demeure une contradiction et une impasse jusqu’à ce que le signe de la différence ne fasse plus sens, mais cela ne dépend pas de lui, ni même de la lutte des racisés qui peut tout autant solidifier la différence que travailler à son effacement. Cependant cette lutte crée le terrain de la situation commune qui est le terrain que va travailler la conjonction des catégories du capital. Il faut à ces forces une matière sur laquelle s’appliquer. La lutte est le signe du changement de situation et de combinaison mais entre la solidification ou l’effacement l’issue n’est pas fixée. « Ce que nous disions de la malléabilité du stéréotype qui peut s’interpréter en bien ou en mal joue ici. Le poids et le sens d’un qualificatif qui reste identique dans son contenu peut changer en fonction de la situation objective, il demeure cependant comme qualificatif impératif : il reste catégoriel. Le meilleur des cas est alors une complexification accrue du stéréotype. Elle se produit lorsque l’ “autre” parvient à un degré de puissance suffisant pour faire entendre un début de parole autonome, alors même qu’il est toujours pour le majoritaire un groupe imaginaire immuable et immobile. » (287)
En résumé, « l’intégration » advient quand la question de l’intégration a disparu dans les termes de l’intégration. C’est-à-dire quand la différence construite ne fait plus sens. Cette disparition du sens résulte d’un travail autre que celui des « différents » sur leur « différence » ou des majoritaires sur leur identité. En tant que telle l’intégration dans les termes qui sont les siens demeure toujours un nœud d’injonctions contradictoires. L’intégration suppose toujours un tri entre ce qui est « intégrable » et ce qui ne l’est pas, ce qui signifie que l’intégration est en fait un maintien des catégories de racisation ]
« L’existence même d’un tri entre les assimilations “possibles” ou “impossibles” signifie que l’assimilation est en fait un aspect du maintien des catégories racisées. Selon les civilisations le caractère de ce qui inassimilable (et donc de l’assimilable) est extrêmement variable. Couleur de peau ou race présumée, sexe ou caste, le tableau des impossibilités est aussi étendu qu’incohérent. » (148) [ on peut ajouter la religion à la liste]
« Ce n’est pas l’un des moindres problèmes de la condition minoritaire que d’être pris au vertige du masque que lui tend le majoritaire. » (145) [La « parole autonome » – voir plus haut – est alors le signe que le masque se fissure, la prise de parole est la pratique du changement des conditions]
Mais la « prise de parole » est toujours une pratique prise dans une ambigüité, l’autre est amené à parler selon la norme (cf. les Marches, le thème de la citoyenneté et de l’égalité et les contradictions de cette « égalité ». Il n’y a personne qui n’entretienne pas un rapport à la norme idéologique et ne s’exprime pas dans cette norme. Il y a les « possesseurs de plein droit d’une part et des possesseurs partiels de l’autre. » (279)
Le réinvestissement des valeurs égalitaires et des Lumières comme idéologie de l’intégration : « mission civilisatrice », « progrès », etc. (p.60).
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Une essentialisation de l’individualité : 105.
« Ceux qui sont “mis à part” (attention « mis à part » c’est être mis quelque part, ce n’est pas un autre monde, nda) se trouvent dans une situation particulière : s’ils sont admis dans l’humanité abstraite (sans quoi il ne pourrait y avoir d’injonction à l’intégration, nda), ils sont aussi ceux qui n’ont aucune individualité. Ils ne sont individuellement que groupe ou fragment de groupe leur réalité sociologique n’atteint pas au statut individuel qui, au contraire, définit le statut des membres du groupe dominant. Lorsqu’il appartient à un groupe minoritaire, ce n’est pas en tant qu’individu que l’acteur social est perçu mais en tant que fragment et signe de la réalité de ce groupe. » [cette idée est importante pour quand il s’agira de parler de dynamique, d’insatisfaction vis-à-vis de soi]
Cependant il y a là un problème, la situation décrite pas C.G est une situation générale affectant tous les groupes et/ou classes, même si c’est de façon différente – ce qui est important. Cf. Marx, Idéo All et l’ « individu moyen » (pp.94 – 95-96)]
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Ce qui compte c’est le procès général de distinction :
On trouve chez Guillaumin, comme dans Le Kaléidoscope la façon de prendre en général la production de la distinction, en considérant les différences entre racisme, xénophobie, etc. comme des variantes d’un même processus fondamental de catégorisaton. Mais son exposition (116−117) est trop conceptuelle sans intégrer le conjoncturel dans le concept, sans le construire comme conjoncturel (118).
« Dans ce travail, le racisme est abordé au niveau de sa généralité et non au niveau de ses manifestations spécifiques qu’elles soient celles des groupes “visés” ou celles des formes que prend cette visée. Cette généralité est choisie dans la mesure où elle permet à son tour d’aborder une spécificité : ce ne sont plus les spécificités des racismes particuliers ou des groupes racisés qui sont objet de recherche mais celle du racisant lui-même (souligné par nous). L’abord de la généralité de la situation raciste permet de définir le noyau spécifique de la majorité et de la constituer en groupe sociologique réel. Généralité s’oppose donc (souligné dans le texte) ici aux spécificités suivantes du racisme et du racisé.
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Une spécificité de degré de la conduite ;
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Une spécificité des groupes visés (noirs, arabes, juifs, femmes, étrangers, etc.). (..) Ces groupes sont soumis à des limitations de droits légaux ou coutumiers, à des contraintes qui ne sont pas imposés au racisant et qui dépendent de celui-ci. (..)
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Une spécificité historico-géographique. Dans un lieu précis du temps et de l’espace se produit un phénomène raciste délimité et marqué par des circonstances et des données particulières et irréductibles à d’autres moments et à d’autres lieux. Cette sorte de spécificité appelle la même remarque que la précédente : les facteurs matériels déterminent le point d’explosion mais l’abcès est déjà lisible dans l’univers symbolique. L’étude de ces facteurs permet de mesurer les évolutions et les continuités du système raciste, d’en connaître les catalyseurs, ou bien de voir s’il s’agit de racisme ou non. Mais à partir du moment où l’existence du racisme est établie, ils ne rendent pas compte de l’aspect de la situation qui nous intéresse : quelle est la forme symbolique qui indique la voie à l’explosion et lui donne sa signification.
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Une spécificité des différentes sous-cultures qui produisent le racisme. Il y a un racisme de la colonisation, de l’industrialisation, des racismes de classe, etc., cela n’est pas niable et les racismes sont encore plus diversifiés que ne le laissent voir des divisions si générales. A la limite on pourrait se laisser entrainer à ne considérer que les racismes individuels, prenant ainsi en compte le système raciste lui-même dans une de ses manifestations majeures : l’irréductible individualité de chacun des dominants face à la totalité que représente chacun des racisés.
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La spécificité psychologique renvoie le racisme à des types particuliers (marginalité, personnalité autoritaire, frustration). Les explications psychologiques, les recensements statistiques réduisent le mécanisme raciste à des variations individuelles (ou à leur somme) à l’intérieur du groupe racisant » (117−118)
[Remarques sur le point 4 : individuellement, le dominant incorpore la totalité des possibilités de manifestations humaines alors que le catégorisé n’est qu’un exemplaire de la catégorie ; la compréhension morale du racisme n’est ni un leurre, ni un accident, mais une déterminjation structurelle]
Le plus important c’est le point 3
C.G en désignant un concept passe à côté du fait que le racisme est intrinsèquement conjoncturel : à la fois une rencontre de catégories du MPC et cette rencontre toujours spécifique. Le point le plus sensible de sa méthode est l’opposition du concept général au troisième point (la « spécificité historico-géographique »). On peut très légitimement ramener toute structure raciste à la désignation particularisée d’un autre face à un universel jamais énoncé en tant que tel comme étant aussi un particulier. A ce moment là nous avons un concept, un concret de pensée qui n’est en aucune manière un concret quelconque, un fragment de celui-ci ou un noyau. C’est là où CG « dérape » : « les facteurs matériels déterminent le point d’explosion mais l’abcès est déjà lisible (souligné par moi) dans l’univers symbolique. » Quel est l’origine, la formation de cet « univers symbolique » ? C’est la question qui n’est jamais posée par C.G et à laquelle naturellement elle ne répons pas (encore qu’il arrive qu’on réponde à des questions non posées, voir Ricardo et la valeur de la force de travail). « L’abcès est déjà lisible » : il semble qu’existe une structure mentale, « symbolique », toujours déjà là et prête à s’emplir, se nourrir, des circonstances. On peut être d’accord avec C.G : « …il est bien évident que chacun des racismes est particulier. Toutefois une généralité est définissable à partir des caractères centraux que présente chacune des conduites spécifiques. (…) Tous ont en commun leur forme de rapport à la majorité, l’oppression. » (119). C’est juste, mais qu’est-ce qui définit ce qui est majoritaire ? C’est l’angle mort de la problématique de C.G qui décortique bien une structure comme mécanique, mais reste muette sur la fabrication de cette structure qui apparait alors comme un donné soit psycho-symbolique, soit social (est posé comme allant de soi que dans une société il existe des « majoritaires » et des « minoritaires »). On avait un peu une chose semblable chez Delphy : les femmes, on ne sait jamais qui c’est, ni pourquoi ça existe.
On peut définir une structure générale, ce que fait parfaitement C.G (bien qu’ancien – 1972 -, c’est certainement le meilleur livre sur le sujet), mais il faut dire comment cette structure est produite et qu’elle n’est pas une part du réel en attente d’être remplie. Si l’on produit cette structure générale à partir des catégories du capital (principalement : universalité ; historicisation hiérarchique des sociétés ; individualisation et naturalisation des rapports sociaux ; segmentation et « valeur morale » — Marx — de la force de travail) comme un concept, il devient alors dans la nature de ce concept de n’être que spécifié de par sa production même.
Ce n’est pas seulement que chaque racisme est particulier comme l’écrit C.G (p.119) mais le racisme n’est que particularismes, parce que le conjoncturel, une conjonction des déterminations du MPC, est son essence.
« Ce travail qui était parti d’un point de vue statique : décrire les caractères du racisme à un moment et dans un lieu donnés, s’est vu peu à peu entraîné dans une optique dynamique : tenter de définir le mode de liaison de ces différents caractères, et de fixer le lieu où ils se déroulent. Nous pensions au départ avoir affaire à une forme de rapport à l’autre limitée et circonstanciée, le racisme n’aurait été qu’un mode du rapport à l’autre et non le seul pratiqué. Dans cette hypothèse les textes ouvertement racistes et qui se voulaient tels devaient apporter le maximum d’informations. Il n’en a rien été, le racisme est remarquablement un et cohérent, c’est un système perceptif qui “colle” à notre emploi de la langue. Ce sont les colorations qui changent et non le système lui-même : haine, détachement apparent, amitié, connotent un système identique d’appréhension du différent. » (210).
Le racisme devient alors le rapport à tout ce qui est « autre » (« un acte perceptif constituant la conduite raciste » — 111), mais rien n’existe a priori comme autre.
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Le racisme, définition (voir aussi rubrique « le racisant ») :
Le racisme est une conduite totale de perception de l’altérité (hostilité ou fascination-admiration). C’est une conduite de « maintien de la différence » qui s’adresse à l’hétérogénéité de l’autre et le constitue en objet différent (cf.110) « L’hostilité est un mouvement second, il se passe quelque chose avant. Elle s’exerce sur un caractère déjà désigné comme particulier dans l’univers social. Reconnaître le racisme à l’apparition de l’hostilité c’est déjà trop tard. Plutôt que de tomber dans le piège, tendu par notre culture, de la croyance en la matérialité de la race et de l’assimilation du racisme à l’hostilité, on doit pouvoir délimiter le concept racisme comme désignant toute conduite de mise à part revêtue du signe de la permanence (souligné dans le texte). Ce signe de mise à part étant actuellement le signe biologique qui offre toute garantie de permanence dans notre système idéologique. » (110−111).
[OK, mais toujours la même question : quel est le processus de « désignation » d’un « particulier » dans « l’univers social » ? Que se passe-t-il « avant » ? A part cela la définition est pertinente et sort des sentiers battus, mais tout se limite à un « acte perceptif » relevant d’un univers symbolique, langagier, idéologique dont on ne saisit jamais le fondement.]
« Le racisme ne dépend à aucun moment de la réalité ou de la non-réalité d’un critère biologique concret, c’est l’association consciente ou inconsciente de ce critère aux catégories, sous sa forme symbolique et non pas objective, qui fait des groupes concrets des objets de racisme. » (251)
« L’anthropologie physique naissait au moment où la diversité des formes sociales se dévoilait dans les bouleversement sociaux qui secouaient l’Europe de ce temps (XVIIIe) et se déployait à travers l’archéologie et la préhistoire naissante. Elle cherchait en fait une justification des différences sociales. Et l’apparition de la race comme objet de science se déroulait selon un processus récurrent : des différences sociales ou historiques constatées on passait à des différences physiques qui les symbolisaient (souligné dans le texte). » (81)
[Il semblerait que C.G donne ici un fondement à l’ « univers symbolique ». mais pourquoi quelque chose est constaté comme « différence » (une différence ne se donne jamais en soi et en clair) et pourquoi de toutes les « différences sociales constatées » on ne passe pas à des « différences physiques qui les symbolisent ». Beaucoup de « différences sociales » demeurent des « différences sociales ». En outre, il faut également expliquer le passage aux différences physiques, pourquoi physique ? Là, il faut parler de la création sociale de l’individu et de cet individu comme physique dans le MPC]
Il est superficiel de dire que nous serions passés d’un racisme biologique à un racisme social, des « races biologiques » aux « races sociales ». Le racisme biologique a toujours été un racisme social et culturel.
« Les caractères culturels dans leurs formes diverses ont été investis du sacré que recèle le noyau de l’idée de race. Drumont et Hitler certes, mais aussi Gobineau ou Elie Faure ont cru que les caractères culturels étaient des caractères essentiels, des caractères de l’être, irréductibles et irréversibles, fondés en nature et immuables tel le sacré, en, un mot – pour reprendre le leur – qu’ils étaient des caractères de la race ». (89).
[Ce qui change c’est que la culture n’est plus un fait de nature, s’originant en elle, c’est la culture même qui est devenue « nature » : le musulman est ; il est ainsi depuis le VIIe siècle. Quand le racisant est obligé de se nommer, c’est l’autre qui devient « raciste » en ce qu’il se coupe de « l’universalité humaine » qui est « prête à l’accueillir en son sein ». Dans cette nouvelle vision le terme d’ « ethnie » connaît une popularité croissante. C’est un compromis entre la persistance d’un déterminisme biologique des traits culturels et une distance prise par rapport au mot « race » dont le sens biologique absolue ne peut plus avoir cours quand le racisant est obligé de se nommer (donc prendrait le risque lui aussi d’être une « race »)]
[Tous les groupes racisés ont une caractéristique commune : ils sont posés comme particulier face à un général. La « majorité » (attention : la « majorité » est un rapport de pouvoir et de pouvoir de définition, pas forcément quantitatif), elle, est dépourvue de particularité et conserve pour elle la généralité culturelle et sociale. Le majoritaire n’est différent de rien, il est lui-même la référence (on verra – rubrique suivante – comment cela donne naissance à ce que nous appellerons : « l’ouvrier conceptuel »). Cela ne signifie pas que le « majoritaire » est un ensemble vide, il se donne à lui-même toutes sortes de caractéristiques mais qui sont toujours celles du « progrès », le « l’universel », de « l’humanité », de la « civilisation » (ne jamais oublier que le « majoritaire » est né de l’historicisation hiérarchique instituée par le MPC). Mais s’il se donne des caractéristiques, celles-ci font qu’il est exclu du mécanisme de particularisation (puisqu’elles sont celles de l’universel), il se pose comme extérieur au rapport différentiel.] Voir aussi plus loin la rubrique sur la « labilité ».
Il n’ya pas de racisme sans idéologie du sujet.
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« Les amis de Juliette », la position de « l’ouvrier conceptuel » :
[A l’intérieur de sa classe sociale, le prolétaire majoritaire ne se définit jamais comme particularité, son groupe est la généralité de la classe. Face à la particularité des « autres » il proclame : « soyez des ouvriers tout court, c’est-à-dire comme moi qui suis le concept d’ouvrier » (même si, en tant qu’ouvrier, il est également particularisé et posé comme représentant d’une catégorie sociale, même si, pour reprendre la formule de L’Idéo All, il n’est pas satisfait de lui-même. Pour toute cette question revenir sur Idéo All, « l’individu moyen » — pp. 94−95−96 et Ste Famille : bon côté, mauvais côté de l’aliénation : confirmation de soi ou non). Quand « l’autre » dit : « mais je ne suis pas dans la même situation que toi » (par exemple le syndicaliste noir), cela ne lui apparaît que comme une particularité qui n’est, à l’inverse de sa situation, en aucun cas porteuse de la totalité de la classe. L’ « autre », le minoritaire ne fait que se limiter à actualiser son groupe alors que lui, l’ouvrier conceptuel, en tant qu’individu, est porteur de la totalité des manifestations possibles de la classe. Il n’est confiné dans aucune spécificité et dispose d’une multiplicité de possibilités de définitions et de pratiques. Cette particularité personnelle que s’accorde l’ouvrier conceptuel appartient à la généralité qu’il accorde à son propre groupe (sous le nom de peuple) au-delà de sa propre classe sociale (la dénégation de l’objectivité de la segmentation raciale est le plus important des interclassismes). A l’inverse, l’ouvrier si particulier qu’est « l’autre » n’est que l’expression unilatérale (unidimensionnelle) de ce qui est censé caractériser son groupe.
Pour l’ouvrier conceptuel et le théoricien de « l’unité de la classe », l’ouvrier « minoritaire » (qui peut être quantitativement majoritaire dans certains secteurs) apparaît comme un incurable particulariste, il est lassant, il exagère, il ne se préoccupe que de lui-même, alors que temps en temps il pourrait parler de ce qui préoccupe « tout le monde ». Bref, les derniers mots de l’ouvrier conceptuel se résument à la boutade de Coluche : « Le racisme, c’est comme les Nègres, ça ne devrait pas exister. »]
« Il est de peu d’importance, semble-t-il, qu’on définisse un groupe par un certain nombre de caractères, car après tout c’est le cas de la plupart des groupes. Mais alors il faut de nouveau se souvenir que le groupe majoritaire reste ouvert à toutes les possibilités, toutes les explications et justifications, qu’il laisse ainsi le champ libre à toutes les particularités individuelles de ses composants, et que son champ est l’ensemble du champ humain. Ce sont les groupes minoritaires qui sont clos, enfermés dans le champ de possibilités définies, ils ferment ainsi toute possibilité d’individualisation dans leur sein. La perception est orientée par la connaissance préalable des caractères de l’objet connu. On voit dans l’autre ce qu’on en sait déjà (ce qui est largement connu), mais on ne peut voir que cela, et corrélativement on ne voit “en soi” que l’infinie possibilité des manifestations humaines, le champ libre de la complexité. » (257−258)
[On retrouve le paradoxe de Cassius Clay]
[Il faut se poser la question relative à la définition du point de référence qui est l’ouvrier conceptuel. Ce dernier est silencieux, nul ne le nomme jamais, au contraire de l’autre qui est toujours nommé, catégorisé, c’est pourtant la référence autour de laquelle se marquent les différences. Cette absence de référence catégorielle se manifeste dans l’ouvrier conceptuel (le « vrai »), non seulement comme norme jamais dite et silencieuse (longtemps dans les syndicats américains de l’automobile il était impossible que certains ateliers soient représentés par une majorité d’ouvriers noirs même s’ils y étaient majoritaires car ils pourraient agir en faveur de leur groupe, les ouvriers blancs n’appartenant évidemment à aucun groupe…), mais plus encore comme la généralité de la situation de classe inhérente à chacun individuellement, comme disponibilité à toutes les variations et possibilités individuelles de l’action de classe. Le paroxysme de la catégorisation est atteint quand il est demandé à l’ouvrier racisé (catégorisé) de ne pas exister et agir « en tant que tel », mais comme l’ouvrier en général, c’est alors dire, dans le plus pur style « antiraciste » accueillant et « effaçant » les différences, qu’aucune de ses particularités individuelles n’est autre chose que l’incarnation de sa race.
Parce que pour l’ouvrier blanc, mâle, etc. n’existe aucune contrainte culturelle ou sociale à se définir et à dire ce qu’il est, les théoriciens de l’unité en soi de la classe n’en voient pas la contrainte pour les autres. Ils entérinent l’existence de l’ouvrier conceptuel comme étant le « dieu caché » par quoi se définit l’ensemble de la classe et c’est alors toujours l’autre qui est un « problème » : « problème des immigrés », « problème noir », « problème des femmes ».]
Le prolétaire conceptuel se définit lui aussi par rapport à l’ « Ego » (le « majoritaire symbolique » 299) car il ne lui est pas immédiatement identique (l’Ego est une référence à laquelle aucune catégorie sociale n’est identique, c’est un idéal-type). « Aucun ne s’y confond, mais aucun n’a de place sans passer par lui » (299) ; surtout pas le prolo conceptuel, mais…
[cette dernière remarque a quelque chose d’intéressant mais je ne vois pas précisément quoi. A rattacher peut-être à l’individu moyen et à la question de la dynamique (insatisfaction vis-à-vis de soi et appartenance de classe comme contrainte, la norme est un idéal type dont le prolo est contigu mais aussi séparé, c’est une référence que sa situation d’individu moyen subsumé (exploité) éloigne de lui aussi]
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Labilité des catégories raciales : 289 – 290. 246.
(voir aussi la rubrique sur l’impossible intégration)
« La stabilité de la stéréotypie, la constance apparente de la position de chaque groupe durant une période assez longue, font supposer la spécificité et la fixité des groupes minoritaires au sein de l’univers social. En fait des mouvements de remplacement marquent l’organisation raciste. L’ordre fixé aux groupes minoritaires par le groupe majoritaire varie sur de longues périodes et suit les changements matériels. Certains groupes disparaissent, d’autres naissent, d’autres encore sont constants, mais leur place change, ils assument tour à tour le rôle les uns des autres. »
[Très juste, mais une brève étude, ou même seulement un ou deux exemples de naissance et de disparition auraient été les bienvenus. Est-ce que l’on peut dégager certaines « lois » dans ce qui fait apparaître ou disparaître ? Pour cela il aurait fallu que C.G produise les mécanismes de production des catégorisations racistes au lieu de se contenter de les décortiquer (très finement cependant). Selon le mode de développement et d’accumulation du MPC ses catégories s’articulent différemment dans la production des catégorisations racistes faisant apparaître ou disparaître certains groupes. En revanche, chez C.G, la racisation semble être le fait d’une « organisation perceptive » quasi inhérente à la « nature humaine », conscient et inconscient compris « Le transfert d’un groupe à l’autre, d’une forme à l’autre, montre la constance de l’organisation perceptive raciste. » (290)]
[C.G donne cependant un exemple (très discutable) de la labilité des constructions racistes : les classes sociales. Au XIXe, aristocratie, bourgeoisie, classe ouvrière sont perçues comme étant des races différentes. Cette distinction raciale, d’abord inventée pour expliquer les oppositions entre noblesse et tiers-état en est venue ensuite à s’appliquer aux antagonismes entre bourgeoisie et classe ouvrière. voir p.246. On va revenir sur cette question]
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Les Juifs : 239
« Il y a dans les catégories “nègre” ou “femme” une certaine marque d’indifférence de la part du catégorisant, pour “juif” jamais. Sans doute est-ce la catégorie minoritaire la plus vécue comme machiavélique. Associés en sociétés secrètes, d’une intelligence supérieure, possesseurs de l’or, sans patrie, ils sont parés de tous les prestiges, d’une menace efficace et imparable, et prennent figure de groupes cohérent ce qui n’arrive ni aux femmes ni aux nègres. » (239)
[Encore que certaines choses semblent avoir changé depuis 1972 (date de la première édition du livre de C.G) au niveau de la « menace » : la théorie du grand remplacement, les territoires perdus de la République, la menace de féminisation de la société.]
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Le problème actuel du racisme est de devoir se nommer : 292. 294. 295. 300.
[Nommer le « je », c’est catégoriser le degré zéro de la norme, une situation paradoxale et de crise politique. Le « je » s’est toujours défini par certaines caractéristiques, mais il échappait aux mécanismes de catégorisation et de différenciation, il n’était différent de rien car rien ne pouvait être une norme ou un étalon face à lui. Deux phénomènes ont changé la donne : la présence massivement décomplexée des descendants et descendantes de l’immigration mais toujours « bloqués » comme « autre » par les transformations structurelles du MPC dans les années 1980 (thème développé dans Le Kaléidoscope), la « montée de la puissance indigène » dirait le PIR ; la mondialisation qui fracture le groupe dominant de la norme en « perdant » et « gagnant » et qui impose aux « perdants » de se situer et définir sous les termes de la citoyenneté nationale authentique (voir TC 25, Une séquence particulière). Il faut remarquer qu’à ce moment là, la norme change : alors que « chrétien catholique » faisait partie des critères non nommé, « citoyen laïque », lui, est nommé, même « homme » tend à être nommé. Une partie du groupe dominant dans la catégorisation raciste – celle pour qui « être Emanuel Macron » n’est pas l’étalon de l’humanité — ne fait plus silence sur elle-même, elle est sortie de son innocence première.]
[Jusqu’à présent cette auto-catégorisation était exceptionnelle, limitée à des mouvements d’extrême droite et encore dans un effort de cohérence théorique qui se situait hors des perceptions et pratiques quotidiennes. Il faut de lourds événements concrets pour que la catégorisation devienne auto-catégorisation, catégorisation consciente d’elle-même.]
[Le « je » se dit lui-même « je » et se définit : « je suis d’ici », « on est chez nous ». Dans le « on est chez nous » c’est la référence du majoritaire qui est en cause, c’est le rapport à une norme, celle du territoire que pose le majoritaire qui est celui qu’il possède. Quand il dit « on est chez nous », c’est sa propre référence qui est en cause, pas celle du minoritaire (300). C’est le majoritaire comme « idéal-type » auquel tout le monde devait se référer, par rapport auquel aucun n’a de place sans passer par lui, qui se fracture.]
Cette crise politique de la catégorisation raciste n’est pas sans lien avec les nouveaux habits islamiques de la catégorisation raciale : ce n’est pas aussi simple que ce qu’expose Tevanian pages 132 – 133 : « avant on ne les voyait pas, maintenant on les voit » (en simplifiant).
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Pourquoi l’islam : 240. 281. 282.283.289.297.
La critique de l’islamophobie ne doit pas être une défense de l’islam, au contraire c’est la critique d’une catégorisation.
Chronologiquement, il faut expliquer l’islamisation de la catégorisation raciale par « l’échec » des Marches (leur impasse dans l’égalité citoyenne, laïque, ouvrière). Par ce qui a fait cet échec : l’intégration impossible (le blocage) et simultanément la catégorisation comme « autre » défaillante (« tel que nous sommes, on est d’ici ! »).
Le passage de la race à la religion permet de maintenir l’idéologie de l’intégration sans laquelle l’universalisme du MPC est impossible, se nie lui-même. C’est alors l’autre qui est accusé de se maintenir à distance (« communautarisme »).
Pourquoi l’islam : partir du passage du travail à la culturalisation. A la suite des Marches, il y a un temps de latence dans les années 80 (les déclarations type Mauroy-Deferre de 83 ont peu de suites). La première « affaire de foulard » a lieu en 1989 ; tenir compte aussi d’un contexte international avec la révolution iranienne de 1979. Dans ces années 80 : disparition identité ouvrière, puis la mondialisation et ses victimes forcent le « majoritaire » à se nommer ; quand le majoritaire se nomme, il doit demeurer tout de même l’universel, le progrès, la civilisation. (Cela est juste mais pas suffisant, pas bien convaincant).
A priori, la catégorie « islam » n’est plus une catégorie raciale. Cependant, c’est toujours « l’arabe » qui est désigné au moment où sa catégorisation comme tel est défaillante : à St Denis ou dans les quartiers Nord, l’origine ne fonctionne plus ; la différence par la segmentation de la force de travail (« l’immigré c’est le travail » – Sayad) est devenue problématique. La facilité du raisonnement par impossibilité et élimination des options (considérées comme un ensemble fini et connu) amènerait à dire : « il ne reste que la religion ». Mais les raisonnements par impossibilité ne sont jamais les bons. La chose doit être spécifiquement produite, ni par impossibilité, ni comme simple constatation (Hajjat L’Islamophobie, La Découverte)
Si on en revient, comme toujours, à la problématique de Sartre : « c’est l’islamophobie qui fait le musulman » (Karim Miské, Le Monde du 31 mars 2011). La question devient : qu’est-ce que le « catégorisant » dit de lui-même quand il fait de l’autre un « musulman » ?
La différence physique (l’Arabe) n’existe que pour autant qu’elle est ainsi désignée (c’est-à-dire comme « physique » : la racisation a toujours besoin de quelque chose de fixe, apparemment immuable) comme un signifiant (pp.96 – 97, je transforme un peu ce que dit C.G qui en 1972 ne parle pas d’islam) : la religion est le signifié du signifiant physique. L’islamophobie est un nouveau marqueur du racisme, il vise spécifiquement l’appartenance à la religion musulmane, mais ce n’est pas un nouveau racisme, (contrairement aux thèses d’Hajjat : les convertis européens victimes de l’islamophobie ne sont que des « arabisés » comme il y avait des « enjuivés ») le signifié a changé (l’origine, le travail), pas le signifiant : on sait le reconnaître au premier coup d’œil, coup d’œil qui peut être larmoyant et d’un paternalisme apitoyé sur les arabes chrétiens martyrisés (remarquer que les arabes yésidis, chaldéens, etc. ne sont jamais qualifiés d’ « arabes », mais seulement de yésidis, chaldéens, etc. et, le plus souvent, de « chrétiens d’Orient »).
L’islamophobie est un « racisme respectable », c’est important, mais ce n’est pas le plus important. La « respectabilité » est donnée par surcroit à ce que le catégorisant dit de lui-même quand le signifié de l’arabe est devenu l’islam. Quand le catégorisant est obligé de se nommer, parce que l’origine et le travail ont failli, parce que l’autre est massivement et ouvertement là, il ne peut le faire sous peine de perdre sont statut de catégorisant qu’en énonçant sa particularité comme neutre, non raciste, a-catégorique, applicable à tous, non discriminante pourvu qu’on l’accepte. En bref, il est citoyen, individu libre renfermant toutes les possibilités d’actualisation de l’individualité libre, il est laïque. Le musulman est devenu le signifié de son « autre ». Il ne faut pas considérer cela comme une simple démarche de pensée, on est dans une configuration sociale spécifique celle que définit la problématique des « habits » des luttes de classes dans « Une séquence particulière ».
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Caractère sexuel du racisme : 278.
(voir aussi rubrique suivante)
« Alors que le majoritaire est ici et maintenant, le minoritaire appartient à un passé paradisiaque et mythique ou à un avenir obscur et menaçant. Ténébreuse Afrique ou jaillit la nature, sagesse immémoriale des civilisations indiennes, déferlement de la Chine future, conquête de l’Internationale juive. Autrefois l’âge d’or, demain l’obscurité. Les minoritaires ne sont pas d’ici et ne sauraient y être. Ils entourent le monde connu sans y entrer. Ils sont à la fois puissance des ténèbres ou possesseur de la nature selon leur statut particulier, mais tout ensemble par rapport à la majorité. (ici C.G ajoute une note : La femme et le nègre, les deux catégories les plus fortement sexualisées, réunissent les deux caractères “proximité de la nature” et “puissance ténébreuse” qui sont habituellement scotomisées entre des catégories différentes : “ténèbres” pour la judéité et l’orient par exemple, et “nature” pour les enfants ou les indiens d’Amérique.) Le constant contenu sexuel des racismes, la surenchère sexuelle qu’ils véhiculent trouvent ici leur signification. A la fois rêve et interdit, cet ailleurs du quotidien est aussi le lieu d’élection de cet “autre” qui ne vit que dans l’“ailleurs”. (nouvelle note : Cette surenchère qui n’apparaît pas dans les textes de presse, pour des raisons de censure, est par contre constante dans le traitement parlé qui s’applique à ces catégories. Ce qui est altérisé est sexualisé avec violence et d’une manière fantasmatiques.) » (278−279)
[ La sexualisation du racisme est une chose évidente et constante, mais l’explication fournie par CG paraît bien faible, métaphorique.
On peut constater que cette sexualisation des catégories raciales touche différemment aussi bien les hommes que les femmes. Si l’on considère pour les femmes les situations décrites par les textes du black feminism, la « matriarche noire » (Angela Davis) ou, dans un autre contexte, la « beurette », soit elles ne sont pas de vraies femmes, soit leur situation raciale les empêche, malgré elles, de le devenir. Pour les hommes, ce sera leur hypervirilité incontrôlée qui les différencie de la masculinité (voir Todd Sheppard, Mâle décolonisation). La sexualisation de la catégorisation raciale vient la renforcer.
C’est cependant insuffisant de considérer la sexualisation des catégorisations raciales comme un déterminant en plus. Comme le dit C.G cela renvoie à la nature et donc à l’historicisation hiérarchique introduite par le MPC. De ce point de vue « naturel », David Roediger – Wages of Witheness – montre l’envie des ouvriers blancs vis-à-vis du mode de vie, plus ou moins imaginé, des travailleurs noirs évoquant pour eux tout ce qu’ils ont perdu. Cela renvoie également au corps des femmes qui devient la « matrice de la race » (Elsa Dorlin, le thème est déjà évoqué dans le Kaléidoscope).
Il faut voir également comment les choses évoluent avec par exemple la place des femmes dans les migrations internationales (cf. le passage là-dessus dans Tel Quel, TC 24).
Voir également comment sur l’Islam, le racisme s’attaque principalement aux femmes en se présentant comme un « féminisme ».
Il ne faudrait pas confondre le processus fondamental de sexualisation des catégories raciales et les contradictions entre hommes et femmes à l’intérieur de ces catégories (cf. bell hooks et pour une approche historique des confits entre hommes et femmes à l’intérieur de la population noire et de la vision sexuelle de « l’homme et de la femme noirs » : Black America de Caroline Rolland-Diamond) ainsi que l’argumentation « féministe » contre les musulmans. Bien évidemment, il n’y aurait pas de sexualisation des catégories raciales sans la distinction hommes / femmes, mais cette sexualisation provient de la catégorisation raciale elle-même, elle n’est pas un simple effet de la distinction sur cette catégorisation qui existerait sans la sexualisation « hors normes ». C’est à l’intérieur de la catégorisation avec sa sexualisation « hors normes » que la distinction va jouer comme effet supplémentaire de la catégorisation. C’est le « hors normes » qui est spécifique à la catégorisation raciale. Il ne suffit pas de dire que c’est « hors normes » parce que tout simplement ils et elles sont « autres ». Il faut montrer que la « sexualisation hors normes » est inhérente à la catégorisation qu’elle n’existe pas sans elle et que le « hors normes » provient des processus généraux de la catégorisation raciale.] L’historicisation hiérarchique des sociétés instituée par le MPC renvoie l’autre à la nature.
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La menace que font pesée les « races dominées » s’accompagne d’une menace de « féminisation » : 77.
« Cette menaçante décomposition prend les traits des minoritaires. Portraits du juif hitlérien, drumontien, des protocoles, du nègre hitlérien et gobinien, déchéance de la féminisation et de la négrification inscrivent l’horreur dans le corps même des réprouvés, symboles et porteurs de ce cataclysme silencieux. » (77)
Todd Sheppard dans Mâle décolonisation dit quelque chose de très proche pour la période de la Guerre d’Algérie et celle qui a suivi jusqu’au début des années 1970, il en fait même une détermination essentielle de la « révolution sexuelle » en France au tournant des années 1960 – 1970 (même l’homosexualité masculine, très ambigüe en ce qui concerne son rapport à la virilité – elle peut être considérée comme une de ses manifestations extrêmes -, est touchée par cette menace au travers des proclamations du type : « je me suis fait enculé par un Arabe »). Dans tous les systèmes racistes, la perception de la menace que fait peser l’autre qui est racisé est toujours une menace de dévirilisation des « dominants ».
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Le racisme « positif » : 104. 109.
[C’est un point important dans l’analyse de C.G qui conçoit le racisme comme un système global de discrimination (altérisation) qui en tant que tel n’est pas nécessairement une péjoration. C’est intéressant de poser à la base les choses comme cela, il n’empêche que les « attitudes positives » sont toujours très ambigües, même en ce qui concerne la virilité.]
« Ne pas considérer ces attitudes “positives” comme partie intégrante du racisme en tant qu’il est système du rapport à l’autre, les rejeter de l’ensemble, c’est ignorer à quel point les attitudes sont susceptibles de retournement à tout instant … » (104)
« Nous pensons donc que ce n’est pas sous l’angle de la seule particularité négative qu’il faut aborder l’analyse du traitement des groupes “autres”, mais sous l’angle général de la différence de traitement de l’objet autre par rapport au sujet semblable. » (109
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Les classes ouvrières modèles des races ( ?) 150. 94. 245 – 246 (là-dessus voir aussi les cours d’Althusser).
« Le système classificatoire raciste n’est pas toujours aussi facile à appliquer que le souhaiterait l’idéologie de la différence biologique. Même si, selon les critères de notre culture, un noir, un jaune et un blanc sont censés se distinguer aisément (distinction qui est cependant historiquement récente), il n’en est pas de même pour un chrétien et un juif. Si l’on distingue les hommes et les femmes, il n’en est pas de même pour l’identification des classes sociales, dont on sait qu’elles furent à l’origine de la création des races (souligné par nous). » (94)
[Contre les ex-colonisés, les mêmes arguments que ceux appliqués à la classe ouvrière et auparavant aux classes dangereuses.]
« Les arguments moraux qui se développent autour des classes dangereuses se répètent obstinément pour les ex-colonisés : évolution insuffisante des processus mentaux, mentalités qui ne permettent pas d’affronter le monde moderne, imprévoyance, irresponsabilité rejoignent le manque d’instruction et de cadres capables – pour ne parler que des justifications “dignes” et, croyons-le sincères. » (150)
« C’est probablement dans le cas des classes sociales que l’incidence biologique est le moins visible dans la catégorisation. (…) Il y a apparemment antinomie entre classe et race, puisque la profession de foi démocratique fait de l’appartenance de classe le fruit de la réussite par les “dons”. En première analyse les désignations de classe sont hétérogènes aux désignations raciales. Pourtant nous avons résolument classé le système perceptif des classes dans le système perceptif racial. (…) Il faut se rappeler surtout que, depuis la fin du XVIIIe siècle et au cours du XIXe siècle, l’antagonisme de classe s’est appuyé sur une théorisation de l’appartenance des différentes classes à des races différentes. » (245−246)
La racialisation de la distinction de classes n’est apparue qu’à la fin du XVIIIe siècle, elle ne peut donc être à l’origine des classifications raciales qui sont antérieures à cette idéologie. Idéologie très instable et variable qui n’a jamais dépassé des cercles de discussions théoriques. Cette distinction est d’abord une controverse interne à l’aristocratie comme classe dominante. Elle oppose les « germanistes » représentés par Boulainvilliers aux « romanistes » représentés par l’abbé Dubos. La controverse porte sur l’absolutisme. Pour Boulainvilliers, anti-absolutiste, l’aristocratie descendant des Francs, le roi n’est que le premier entre des égaux. Pour Dubos : « Les Francs ne sont pas venus en Gaule en vainqueurs, mais en invités : ils sont les héritiers des empereurs romains. Mais le mal est venu au Xe siècle : les offices royaux se sont convertis en charges féodales héréditaires, c’est l’apparition de la noblesse. L’absolutisme actuel revient donc avec raison à l’origine historique et à la saine tradition de la monarchie. Ces théories feront fortune au XVIIIe siècle, mais reprise au profit du Tiers Etat. Cf. Mably ou Diderot. Cf. même plus tard Augustin Thierry : lutte des classes comme lutte des races » (Althusser, Politique et histoire de Machiavel à Marx, cours à l’ENS 1955 – 1972, éd. Le Seuil, p.45).
Cette thèse de la différence raciale des classes n’est rappelée par C.G que pour soutenir la thèse de la racialisation de la distinction de classes : si une telle thèse a pu être défendue quelle que soit sont incongruité, c’est parce que, selon C.G, la distinction de classe est vécue de part et d’autre au travers le système perceptif raciste. Mais alors quel est ce « système perceptif » qui commande aussi bien la perception des races, que des classes ou du genre ?
« Il s’agit d’un vocabulaire naturaliste qui revient à dire les bourgeois ou les ouvriers sont comme cela… et non plus ils se trouvent dans une situation différente. Ce déplacement de l’expression entre la situation et l’être marque précisément l’entrée de la perception raciste. Celle-ci affirme toujours l’être, l’essence, à la différence de la perception de type social qui pose la primauté de la situation et des conditions matérielles ou mentales. » (247)
Plus que les idéologies et les débats hérités du XVIIIe siècle, c’est là le vrai fondement, pour C.G, des classes comme faisant partie de la perception raciale. La question étudiée par C.G c’est la perception de la chose pas sa réalité. En effet, race et classe ne sont pas des constructions se situant au même niveau et relevant des mêmes processus objectifs dans le MPC : la première est un produit des catégories constituées, la seconde est définitoire. C’est une question que C.G laisse totalement de côté, elle s’intéresse à la mécanique et la décortique, mais jamais à l’énergie qui l’anime. Malgré cette limite C.G nous laisse la question suivante : comment se fait-il alors qu’elles puissent apparaître comme appartenant au même « système perceptif » où l’être remplace la situation ?
En fait, le remplacement de la situation par l’être est un effet général de l’autoprésupposition du capital. C.G fait de cet effet général le « système perceptif raciste », tout alors relève de ce système. Si toute perception raciste est un déplacement de la situation à l’être, tout déplacement de la situation à l’être n’est pas une racialisation sous peine de faire de la racialisation un concept si vaste qu’il en perd toute pertinence et finalement de faire de toute la métaphysique occidentale depuis l’antiquité un « système perceptif raciste ». Le passage de la situation à l’être est un effet général du MPC s’appliquant différemment à des objets différents. Ce n’est parce que l’énergie électrique fait fonctionner les deux qu’un réfrigérateur devient une machine à laver (ou vice versa). On retrouve ici la limite de toute l’approche de C.G qui fait du racisme un système général de perception de l’autre. Femmes, prolétaires, noirs, etc. relèveraient d’un fondement identique désigné comme un « système perceptif ». L’objectivité dans la construction des catégories, qui les différencie, a disparu.
« La particularisation apparaît comme l’acte fondamental des racismes » (285), mais « acte fondamental » n’explique pas la raison de cet acte. C’est en laissant cela de côté que C.G peut tout amalgamer dès qu’il y a distinction.
Le racisme devient alors le rapport à tout ce qui est « autre » (« un acte perceptif constituant la conduite raciste » — 111), mais rien n’existe a priori comme autre.
Toujours la même question : quel est le processus de « désignation » d’un « particulier » dans « l’univers social » ? Que se passe-t-il « avant » ? Tout se limite à un « acte perceptif » relevant d’un univers symbolique, langagier, idéologique dont on ne saisit jamais le fondement.
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Pourquoi l’Europe est intrinsèquement le lieu de la panique envers l’autre
« Il semble que sur une période de cent cinquante ans (le texte est écrit en 1972) l’Europe ait vécu un approfondissement de sa panique en face des groupes et peuples différents. D’abord fascinés par l’étrangeté des autres, elle la transforme peu à peu en hétérogénéité et se retrouve enfin dans la crainte. » (67)
[La seule culture fondée sur le seul mode de production universel et donc à se concevoir comme universelle à l’intérieur de l’ensemble de l’humanité et de l’humanité comme ensemble, c’est alors immédiatement une hiérarchie et un antagonisme. Il y a ceux pour qui l’universel est inhérent et ceux qu’il va falloir conduire vers lui. Ce qui est intéressant dans la remarque de C.G ce n’est pas de retrouver le thème de l’universalité comme fondement mais de voir comment il fonctionne selon les modalités propres de la mécanique raciste.]
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La critique du racisme admet le présupposé raciste : 90. 91 – 92.
Là, il va falloir longuement citer C.G car on y trouve à la fois une critique radicale du rôle causal des « différences raciales » dans la « perception raciste » et une reconnaissance de l’existence physiologique des « différences raciales » (cet aspect des thèses de C.G a été déjà préalablement relevé). Quelles sont ces « races réelles » à distinguer des « races imaginaires » bien que relevant du même processus sociologique ?
« Bien sûr les sciences humaines ne professent plus que les facteurs de la différence sociale soient des caractères physiques, mais elles enregistrent pourtant les phénomènes sociaux du racisme comme étant dépendants des caractères physiques. Ce qui revient à rendre à ceux-ci un caractère causal (souligné par nous).On peut donc dire que l’ensemble de la recherche admet toujours bien qu’au second degré le caractère causal des caractères physiques réels ; Si l’on ne pense plus désormais que la couleur de la peau, le sexe, la forme du nez ou du crâne soient l’expression d’un soma qui détermine les conduites des groupes qui possèdent ces caractères, on croit encore que la perception de ces différences joue un rôle causal dans la conduite raciste. C’est-à-dire que la perception de la race est prise dans un sens immédiat, en tant qu’enregistrement d’un caractère physique réel. Cette contradiction est au centre de tous les travaux sur la question, tout se passe comme si les chercheurs, ne croyant pas à la race pour leur part, supposaient qu’elle est concrètement réelle pour les groupes qui produisent les conduites racistes. (…) Une grande partie des travaux sur le racisme admet d’emblée l’existence du caractère racial tel qu’il est dit soit par le racisme théorique, soit par le “sens commun”. Cependant quantité de travaux, surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, ont montré que la causalité raciale “n’avait aucun sens” : soit que la race n’existe pas au sens que lu donne la croyance commune, soit que les divisions raciales ne recouvrent pas les divisions culturelles. Mais ces remarques n’attaquent pas le cœur du problème ; c’est en fait, inconsciemment selon toute vraisemblance, refuser de poser la question sur son terrain propre et en choisir les à-côtés ; car il existe des races imaginaires. Précisément ces appartenances culturelles dont la recherche s’est beaucoup préoccupée de montrer qu’elles n’étaient pas des “races réelles”. Or races imaginaires comme races réelles jouent le même rôle dans le processus social et sont donc identiques eu égard à ce fonctionnement : le problème sociologique est précisément là. C’est au niveau où races réelles et races imaginaires sont insérées dans un processus commun qu’il importe de lire la réalité sociologique de la “race”. Tenter de déterminer ce qui est concrètement vrai et objectivement faux dans la perception des races est, nous semble-t-il, inadéquat. Cela revient à se limiter à un statut-quo de la réalité de la race, et se préoccuper de déterminer en quoi cette réalité est fondée ou non ne pose pas le problème sociologique. D’une part, prendre comme base de départ la réalité des races, c’est partir de prémisses erronées puisque nous savons que ce qui est considéré comme race par le sens commun n’en est pas forcément une. D’autre part, simplement contester la réalité matérielle de la race, c’est escamoter la réalité psycho-sociale qui montre l’existence d’un fait race là où l’anthropologie physique ne distingue pas de différenciation. Si la race n’existe pas cela n’en détruit pas pour autant la réalité sociale et psychologique des faits de race. Reconnaissance qui ne doit pas se confondre avec l’admission de la réalité raciale comme réalité biologique ; ce serait se condamner à voir dans une réalité matérielle qui ne recouvre pas les divergences culturelles l’origine d’un fonctionnement social. (…) Et nous nous retrouvons dans une définition raciste du racisme. » (90−91−92)
A la suite se trouve le chapitre : « La “race” est un signifiant »
« La variation des objets désignés par un même terme somatique est là pour confirmer cette incertitude. Les “noirs” au XVe siècle et les “noirs” au XXe ne désignent ni les mêmes personnes ni les mêmes civilisations. Inversement des désignations nouvelles sont créées pour caractériser des formes culturelles saisies dans un rapport nouveau par la société qui parle. Ainsi la naissance de la désignation jaune et du terme sémite au cours du XXe siècle marquaient le début d’une perception raciale plaquée sur une réalité culturelle plus ancienne. (…) Le caractère physique apparent (ou cru tel), y compris l’accent, la langue, la gestuelle, etc., se saisit comme biologique. N’importe quel type de différence physique peut être privilégié pour autant qu’il peut donner un support physique à un désignation sociale ; Les caractères choisis comme blasons de la désignation raciale ne sont qu’une infime partie des discriminations de ce type possibles. Une différence physique réelle n’existe que pour autant qu’elle est ainsi désignée, en tant que signifiant, par une culture quelconque. Ces signifiants varient d’une culture à l’autre (souligné dans le texte). Cette différence se manifeste donc comme pur signifiant porteur des catégorisations et des valeurs d’une société. Dans le racisme, dans les conduites de contact entre groupes, la caractéristique physique est une valeur sémantique (idem), c’est en retour qu’elle se donne pour causale. » (94−95−96)
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Dynamique :
Le sujet est abordé dans d’autres rubriques.
301 : l’extrême difficulté où se trouvent les minoritaires pour se définir eux-mêmes. Ils ont à jouer sur deux registres : le moi que le majoritaire leur signifie qu’ils sont : le moi qu’ils se sentent être et dont ils sont séparés par l’impératif majoritaire. Si les minoritaires sont ainsi divisés contre eux-mêmes, c’est en fait parce que le médiateur imaginaire de la définition de soi-même leur est hétérogène. Le minoritaire est à la fois incarnation de la projection majoritaire (islam par exemple) et réponse au médiateur d’accomplissement humain total que prétend être « l’imaginaire majoritaire » (versus islam). C’est tout un jeu qui inclut l’individualisation contre l’essentialisation.
« Le minoritaire est contraint d’être dans un même mouvement cette abstraction que lui impose le majoritaire et l’être concret qu’il est vraiment ; celui que Sartre appelle « inauthentique » est celui qui n’a pas fait, ou n’a pas accepté, ou même n’a pas accepté d’avoir à faire cette obligatoire synthèse. » (122)
[C’est cette distance qui est la dynamique de la distinction raciale et de sa suppression, à condition de la sortir de la psychologisation de Guillaumin. Il faudrait reprendre dans ce sens le thème de « l’insatisfaction vis-à-vis de soi »].