Une séquence particulière
Où en sommes-nous dans la crise ?
« Il nous a levé l’envie de rire pour dix ans »
(André Gide après la conférence d’Antonin Artaud : Artaud-Mômo)
Des luttes et des mouvements aussi divers que le soulèvement arabe depuis 2011, les mouvements « indignés » ou « occupy », les manifestations turques, brésiliennes ou bosniennes, les émeutes ukrainiennes, le « mouvement des fourches » en Italie, les grèves et émeutes ouvrières en Chine, Asie du sud et du sud-est, Afrique du Sud, et même, à une échelle incomparable, les événements de Bretagne, en France, à l’automne 2013 ou l’adhésion populaire aux thèses politiques de l’extrême droite partout en Europe, définissent, à l’intérieur de la crise ouverte en 2007 / 2008, une séquence particulière de la lutte des classes débutant autour de 2010 et dans laquelle nous nous trouvons actuellement.
2007 : une crise du rapport salarial
Dans le capitalisme issu de la restructuration des années 1970 / 1980 (dont nous connaissons actuellement la crise), la reproduction de la force de travail a été l’objet d’une double déconnexion. D’une part déconnexion entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail, d’autre part, déconnexion entre la consommation et le salaire comme revenu.
La rupture d’une relation nécessaire entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail brise les aires de reproduction cohérentes dans leur délimitation nationale ou même régionale. Ce dont il s’agit c’est de séparer, d’une part, reproduction et circulation du capital, et d’autre part, reproduction et circulation de la force de travail.
La crise actuelle a éclaté parce que des prolétaires n’ont plus pu payer leurs crédits. Elle a éclaté de par le rapport salarial même qui fondait la financiarisation de l’économie capitaliste : compression des salaires nécessaire à la « création de valeur » ; concurrence mondiale de la main-d’œuvre. C’est le rapport salarial qui est au cœur de la crise actuelle.
Tout avait bien commencé…
Dans les « luttes suicidaires », les luttes de chômeurs et précaires ou de sans-papiers, les émeutes de 2005 en France, les grèves du Bengladesh où les ouvrières brûlent les usines, les émeutes en Grèce en 2008, celles plus ou moins revendicatives en Guadeloupe, les luttes multiformes en Argentine, etc., apparaissait la dynamique révolutionnaire de ce cycle de luttes : agir en tant que classe c’est, d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Nous avions défini cela comme un conflit, un écart dans l’action du prolétariat qui était le contenu et l’enjeu de la lutte des classes. Ce n’était qu’ainsi que nous pouvions parler de révolution comme communisation, et nous avions raison. Mais…
Et puis, tout a commencé à se gâter
La société salariale
Au début des années 2010, quelque chose bascule. La crise de la dette publique entraine dans tous les pays centraux une accentuation des mesures d’austérité, la pression fiscale se renforce, l’ascension sociale par les études n’est plus qu’un leurre suranné, le chômage et la précarité se développent touchant des catégories jusque là plus ou moins épargnées, les classes moyennes.
L’entrée de catégories comme les classes moyennes ou la jeunesse n’est pas que la simple venue de nouveaux acteurs dans une pièce existante et inchangée, les nouveaux développements de la crise construisent ces nouveaux acteurs en même temps qu’ils les frappent, mais surtout le champ de la lutte des classes s’élargit du rapport salarial à la société salariale. C’est la séquence actuelle.
La subsomption réelle est la constitution du capital en société. Mais cette constitution en société c’est le mode de production capitaliste comme société salariale. La société salariale c’est un continuum de positions et de compétences dans lequel les rapports de production capitalistes ne sont vécus que comme des rapports de distribution, l’exploitation comme un partage injuste des richesses, les classes sociales comme le rapport entre riches et pauvres.
Dans le cadre de la société salariale et des rapports de distribution, l’attaque de tous les revenus salariaux frappe, entre autres, les classes moyennes et les fait sortir dans la rue, mais encore les formes mêmes de ce moment de la crise font « momentanément » ( ?) des classes moyennes les représentantes de ce moment. Cela se passe souvent dans une jonction conflictuelle avec chômeurs et précaires et créent, inversement, une attitude distante si ce n’est méfiante des ouvriers plus ou moins stables qui ne s’engagent pas dans le mouvement à partir de leur position dans la production ou mènent, comme en Turquie ou au Brésil, des actions totalement parallèles. Avec le constant et rude travail de positionnement et de hiérarchie qui est le sien, la classe moyenne est un carrefour de la société salariale avec ses ascensions et ses dégradations. Elle milite pour la reproduction de la société salariale, entérinant l’autoprésupposition du capital.
Au même moment, les mêmes catégories sociales apparaissent comme des agents essentiels des mouvements sociaux dans les pays émergents. La Chine, l’Inde, le Brésil, la Turquie sont pris en tenaille entre leur rôle fonctionnel dans le système qui s’effondre et leur propre développement acquis qu’ils ne peuvent encore faire valoir pour lui-même. Peu importe alors que la société salariale soit dans chaque aire régionale déjà acquise ou en constitution plus ou moins réalisable, les classes moyennes des pays émergents n’en sont alors que plus entreprenantes.
La crise du rapport salarial devient crise de la société salariale en mettant en mouvement toutes les couches et classes de la société qui vivent du salaire. Partout, avec la société salariale, il s’agit de politique et de distribution. Comme prix du travail (forme fétiche), le salaire en appelle à l’injustice de la distribution, c’est normal. L’injustice de la distribution a un responsable qui a « failli à sa mission » : l’Etat. Quand la crise du rapport salarial devient un mouvement interclassiste comme crise de la société salariale, cette dernière est une délégitimation du politique dénoncé au nom d’une vraie politique nationale. L’enjeu qui est partout posé au cœur des luttes de cette séquence de la crise est celui de la légitimité de l’Etat vis-à-vis de sa société. Selon les circonstances, les histoires locales, la trame des conflits, cela peut prendre des formes très diverses et à première vue opposée, mais le fond est le même : l’Etat apparait toujours comme le responsable et comme la solution.
Par exemple, l’étrange combinaison entre libéralisme et bureaucratie d’Etat qui définit l’Etat et la classe dominante dans les pays arabes depuis le début des années 1970 parvenue à ses limites de développement a craqué de toute part. Mais la recomposition de la classe dominante et de l’Etat, en Egypte comme en Tunisie, ne peut être menée de façon endogène. C’est la clé de la compréhension du soulèvement arabe comme processus de long terme avec ses aller-retour dont les affrontements de l’été 2013 entre les fractions de la bourgeoisie représentées par les Frères musulmans d’une part et par l’Armée d’autre part (avec les fragiles hégémonies qu’elles peuvent passagèrement construire) ont été un épisode. Le prolétariat y participe non seulement parce que cette contre-révolution est la mise en forme des limites politiques mêmes de ses luttes, mais encore parce que sa propre structuration comme classe dans et par les luttes l’embarque dans cette recomposition de l’Etat et de la classe dominante.
« La dénationalisation de l’Etat » (Saskia Sassen)
Dans la mondialisation actuelle, ce que l’on peut qualifier de global ne se limite pas à quelques institutions « mondiales », le global investit les institutions et les territoires nationaux. La visée de Bretton Woods était de prémunir les Etats nationaux contre les fluctuations excessives du système international. Celle de l’ère globale actuelle est tout autre puisqu’il s’agit de mettre en place des systèmes et des modes de fonctionnement globaux au sein des Etats nationaux, quels que soient les risques encourus par leurs économies. La dénationalisation des capacités étatiques est une insertion de projets globaux dans les Etats-nations (politiques monétaires, fiscales ou de protection sociale). L’Etat n’est pas un tout, la mondialisation n’est pas un affaiblissement général de l’Etat, elle passe par des transformations en son sein, c’est-à-dire un travail de dissociation des éléments étatiques.
La logique du secteur financier s’intègre à la politique nationale pour définir ce qu’est une politique économique adéquate, une politique financière saine, ces critères ont été transformés en normes pour la politique économique nationale : indépendance des banques centrales, politique anti-inflationniste, parité des taux de changes, conditionnalités du FMI. A l’inverse de la « dénationalisation » les politiques keynésiennes étaient une illustration de ce que Sassen appelle « le national intégré » : combinaison d’économie nationale, de consommation nationale, de formation et éducation de main-d’œuvre nationale et maîtrise de la monnaie et du crédit.
Dans la crise de la société salariale, les luttes qui se déroulent autour de la distribution désigne l’Etat comme le responsable de l’injustice. Cet Etat, c’est l’Etat dénationalisé, traversé par et agent de la mondialisation.
La citoyenneté devient alors l’idéologie sous laquelle est menée la lutte des classes, nous voyons partout des drapeaux. Dans la « période fordiste », l’Etat était en outre devenu « la clé du bien-être », c’est cette citoyenneté qui a foutu le camp dans la restructuration des années 1970 et 1980. Si la citoyenneté est une abstraction, elle réfère à des contenus bien concrets : plein emploi, famille nucléaire, ordre-proximité-sécurité, hétérosexualité, travail, nation. C’est autour de ces thèmes que dans la crise de la société salariale se reconstruisent idéologiquement les conflits de classes.
La reconstruction idéologique des conflits de classes
Il est nécessaire de tenter une compréhension théorique du discours et des idéologies ambiantes et dans cette compréhension de les considérer autrement que comme un effet de surface, mais c’est encore insuffisant, le projet ici est de les considérer comme des éléments pratiques sans lesquels la construction conceptuelle de la période est impossible.
La relation des individus aux rapports de production n’est jamais une immédiateté dans la mesure où ces rapports sont exploitation et aliénation, elle comporte un « jeu » dans lequel interviennent toutes les instances du mode de production. Cette non-immédiateté, c’est ce qui, en France, fait la différence entre le « Front de Gauche » et le « Front National » et l’avantage du second sur le premier. La politique qui ne tient pas compte de cette non-immédiateté échoue. La « gauche de la gauche » est en train d’y réfléchir, mais son problème est que tous les thèmes font système et qu’en tant que tel, le système penche à droite. Quand le PCF, en 1977, promouvait le « produisons français », c’est lui-même qui ajoutait « avec des Français ».
En tant qu’idéologique, la citoyenneté nationale répond au problème réel de son époque : la crise du rapport salarial devenue crise de la société salariale, la crise de l’Etat dénationalisé, l’opposition irréductible entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. Mais le recours à la citoyenneté nationale est alors l’aveu même dans les luttes sur la base et à l’intérieur de la société salariale que ces luttes opèrent sous une idéologie. D’une part, la citoyenneté nationale répond au problème réel de la crise de la société salariale ; d’autre part, elle ne lui correspond pas, car elle la traite de façon « inauthentique » comme représentation d’autre chose : la perte des valeurs, la décomposition de la famille, l’identité nationale, la communauté du travail. C’est-à-dire qu’elle ne répond qu’à ses propres questions.
Au premier abord, cette idéologie est critique, mais seulement dans la mesure où elle est le langage de la revendication dans le miroir que lui tend la logique de la distribution et de la nécessité de l’Etat. Les pratiques qui opèrent sous cette idéologie sont efficaces parce qu’elles renvoient aux individus une image vraisemblable et une explication crédible de ce qu’ils sont et de ce qu’ils vivent et sont constitutives de la réalité de leurs luttes. La question de la distribution, celle du travail et de l’assistanat, de la déshérence des territoires dans « l’unité nationale », des valeurs, de la famille, structurent adéquatement la relation des individus aux enjeux actuels des luttes de classes dans cette séquence de la crise.
Il s’agit d’affirmer comment c’est un processus objectif des rapports de production qui se reconstruit à partir de lui-même comme pratiques idéologiques significatives d’une séquence particulière.
Thématique de la reconstruction idéologique des conflits de classes
a ) Le territoire et le local
La mondialisation et la dénationalisation de l’Etat créent de vastes territoires périphériques et exclus des processus économiques majeurs. A l’automne 2013, c’est ce sentiment d’exclusion territoriale qui a fédéré la révolte bretonne, dite des « bonnets rouges », contre l’écotaxe et les fermetures d’entreprises. Pour les ouvriers de Bretagne, du Nord-Pas-de-Calais, de la Picardie, de la Lorraine ou de Champagne-Ardenne, l’attaque du local par le capitalisme mondial est une explication raisonnable des problèmes et des souffrances subies sous de multiples aspects, et sa préservation, une solution crédible.
Lors de la votation suisse du 9 février 2014 sur la « limitation du nombre de travailleurs immigrés », le « oui » l’a emporté dans les campagnes contre les villes et il l’a emporté là où il y avait le moins de travailleurs immigrés européens mais le plus de chômeurs nationaux.
Dans la reconstruction idéologique des conflits, le local est au carrefour de plusieurs autres déterminations dont il sera question plus loin : il rassemble le « peuple authentique » contre les élites, les « intellos », ce qui est étranger, ceux qui profitent du système social et des impôts des autres. Dans ce type de révolte, le sentiment d’abandon des zones rurales et péri-urbaines, face à l’hégémonie des métropoles met en cause la légitimité de l’Etat dénationalisé, il rejoint « l’exaspération contre la pression fiscale » et le « carcan réglementaire » sous la volonté générale de mettre fin au « dumping social » et de « conserver l’emploi au pays ».
De leur côté, les manifestations brésiliennes du printemps 2013, s’inscrivent dans l’expansion et la rénovation massives des zones urbaines centrales, au moment même où des portions importantes de ces villes sombrent dans la pauvreté et connaissent un déclin de leurs infrastructures. La politique urbaine synthétise les questions relatives à la reproduction de la force de travail et de façon conjointe à la reproduction des différences de classes : questions de logement (localisation dans l’espace que bouleverse la « rénovation urbaine »), santé, éducation, transport. Dans la densité, la qualité et le coût des services publics se jouent non seulement la reproduction de la force de travail mais également les enjeux de mobilité sociale.
A Rio ou Sao Paulo, que ce soit à propos de l’expulsion des zones centrales d’habitation ou des transports et des services publics en général, le rapport social qui structure la lutte et définit les enjeux n’est pas le capital ou le travail salarié mais la propriété foncière régissant l’aménagement de l’espace. L’interclassisme est le symptôme de ce rapport social de production. En effet, parce que c’est la propriété foncière qui les structure et se pose elle-même comme leur enjeu, les luttes de classes comme luttes sur l’aménagement urbain portent sur un rapport de production « second » : la rente n’est qu’une partie de la plus-value extorquée dans le rapport entre capital et travail. Ce caractère « second » manifeste son essence propre en organisant les luttes autour du revenu et de la consommation.
Dans les luttes qui existent sous l’idéologie du local, même si ce n’est pas avec la même dynamique et les mêmes perspectives, on passe du rapport salarial à la société salariale, au salaire comme rapport de distribution, à la légitimité de l’Etat existant. Bien assise sur la succession de ces décalages, la reconstruction idéologique possède une perversité polymorphe.
b ) La famille
Les idées de « liberté », d’ « autodétermination » et d’ « émancipation » non seulement ne peuvent plus dire grand-chose, mais encore avec celles de « choix », voire de « droit », elles sont devenues les emblèmes du libéralisme économique lui-même. Elles sont devenues pour les « perdants de la mondialisation » l’énoncé d’une menace. Appliquées à la famille, ces idées apparaissent comme une sourde et sournoise entreprise de démolition de ce qui est considéré comme la dernière institution capable de protéger contre « l’individualisme ».
Cette image idéale de la famille dite « traditionnelle » si ce n’est « éternelle » ou même « naturelle », lieu protecteur hors des rapports purement économiques, aux rôles fixes et rassurants, et qui cristallise bien des revendications contre les déterminations du développement capitaliste telles que la crise les a rendues manifestes, est d’origine relativement récente : elle se forme dans l’entre-deux-guerres autour de la figure de l’ouvrier mâle travaillant à plein temps, détenteurs de droits, mari et père, et se désagrège au début des années 1970.
L’ « indifférenciation sexuelle » et la dite « théorie du genre » sont vécues comme une menace bien au-delà des manifestations contre le « mariage pour tous », une menace contre un ordre où les rôles sociaux « correspondent » au sexe biologique (à moins que cela ne soit l’inverse …), où les sexes sont « complémentaires » et où chacun et chacune occupent sa place « traditionnelle » dans la famille. Une place que verrouillerait pour les femmes l’interdiction de l’avortement.
Tout se passe alors comme si la lutte ou plutôt le simple rejet des rapports sociaux régissant la production et la reproduction se faisait au nom du monde antérieur que la restructuration a aboli, monde antérieur érigé en contre-type idéal. D’autant plus que ce contre-type idéal acquiert une valeur bien actuelle contre l’efficacité idéologique d’une théorie du genre pour laquelle n’existeraient que des comportements libres et librement modifiables : des préjugés ou des représentations. Cette efficacité idéologique consiste à construire et légitimer des pratiques déniant la contrainte et les déterminations sociales qui construisent la distinction de genre. Quand on n’a pas le choix, la théorie « libérale » du genre apparaît au mieux comme un fantasme au pire comme une insulte. Contre cette conception arbitraire du genre qui comme l’écrit une journaliste du Monde (5 février 2014) ferait que « les inégalités entre les sexes se logent dans nos représentations », ce qui, pour les « classes populaires » résonne dans le discours conservateur c’est la reconnaissance du côté contraignant du social. Non seulement la contrainte sociale est là, forte, mais encore elle affirme sa positivité, la famille est le rempart du peuple et de « l’authenticité humaine » contre l’individualisme, contre les élites et les experts de l’éducation, de l’alimentation, de la sexualité, etc.
c ) L’authenticité, les élites intellos et la nation
L’insécurité économique a conduit une partie du prolétariat et des classes moyennes à rechercher la sécurité ailleurs, dans un univers « moral » qui lui, ne bougerait pas trop et qui réhabiliterait des comportements anciens liés à un monde disparu. L’élite jadis associée aux possédants, aux grandes familles de l’industrie et de la banque, devient identifiée à la gauche, aux intellectuels et aux experts, exagérément friands d’innovations sociales, sexuelles, sociétales et raciales. Ce basculement a lieu aux Etats-Unis au début des années 1970 et on peut le constater partout en Europe actuellement pour les raisons évoquées plus haut : la constitution en contre-type idéal du monde aboli par la restructuration des années 1970 comme résistance et rejet actuel du capitalisme issu de cette restructuration.
On a évoqué l’importance de la famille et de ses rôles sociaux « traditionnels » dans la reconstruction des conflits de classes à l’intérieur de la société salariale, la mobilisation anti avortement est au carrefour de la préservation de ces rôles et du combat contre les élites. Pour les besoins idéologiques actuels, que la vague de lois qui dans les années 1960 et 1970 libéralisa l’avortement ait été le résultat de la lutte des femmes disparaît pour ne plus être qu’une ingérence des médecins et des juges dans la vie familiale. Dans les mobilisations contre l’avortement non seulement se focalise la réaffirmation des rôles sexués traditionnels et de la famille selon un « ordre naturel » (en fait celui de la phase précédente du mode de production capitaliste), mais encore « l’ordre naturel » devient un thème majeur de lutte contre l’élite intellectuelle qui cristallise au niveau idéologique, sociétal, toutes les déterminations économiques et sociales du capitalisme issu de la restructuration des années 1970.
Ce rejet culturel de la mondialisation dans la période du capitalisme entrée en crise construit une identité populaire authentique qui sert de référence au nationalisme. Cela implique des choses qui peuvent être tout à fait triviales. Aux Etats-Unis, le Parti Républicain est celui des buveurs de bière, de vrai café américain et pas de « latte », de ceux qui vont à l’Eglise et possèdent des armes à feux ; en France, le FN est celui des mangeurs de cochonnailles, des buveurs de vin rouge et des laïques purs et durs. Il n’y a pas de nationalisme, ni même de souverainisme national, sans identité et authenticité, sans possibilité de pouvoir dire « nous » et « eux ».
Le peuple, précisément dans une polysémie (demos, ethnos, plèbe) qui le fait coïncider avec une nation toujours menacée par les élites, est à la fois le dépositaire et l’inventeur de cette authenticité. Ce changement de terrain et d’instance face aux agressions sociales et économiques est la nature même de l’idéologie comme rapport des individus à leurs conditions d’existence comme rapports de production. Que peut entendre un ouvrier de la raffinerie de Berre, en France, ancienne raffinerie Shell (anglo-hollandaise), puis devenue LyondellBasell (cotée à Wall Street) qui refuse de la vendre à la Sotragem (entreprise de trading italienne revendue à un Slovaque), et qui donc va perdre son emploi, quand un Cohn-Bendit déclare : « L’identité européenne est en devenir et ne peut correspondre qu’à une identité de nature post-nationale. Dans la mesure où celle-ci n’a rien à voir avec une identité figée, elle est sans doute moins confortable pour les individus. A la limite être européen, c’est ne pas avoir d’identité prédéterminée. » (Le Monde du 2 février 2014). On pourrait presque comprendre qu’il ait des envies de meurtre.
Dans la séquence actuelle, de façon agressive vis-à-vis de l’étranger et des « ennemis intérieurs », comme en Ukraine, ou de façon progressiste, comme au Brésil, la nation est le langage et le formatage pratique de la revendication économique. En Ukraine, le nationalisme de la clase ouvrière est la chose certainement la mieux partagée entre l’Ouest et l’Est du pays : à l’Ouest c’est Svoboda, à l’Est, le Parti Communiste.
On a vu des drapeaux nationaux à Athènes, à Rio, à Istanbul, au Caire et à Tunis et si on ne les a pas vus en Bosnie, à Sarajevo ou à Tuzla, c’est qu’il n’aurait symbolisé qu’un simulacre d’Etat corrompu jusqu’à la moelle contre lequel la révolte ouvrière s’est immédiatement fondue en un mouvement citoyen de restauration nationale. On les a vus aussi le 9 décembre 2013 dans les rues de l’Italie, lors du dit « Mouvement des fourches » (forconi). On a vu ce 9 décembre, une conjonction de groupes sociaux et d’idéologies qui pourrait préfigurer d’autres choses tout aussi surprenantes et inquiétantes. A ce qui était à l’origine une révolte de classes moyennes traditionnelles, se sont joints, ce 9 décembre, de très nombreux jeunes précaires et chômeurs adultes ainsi que des comités de locataires contre les expulsions, les Centre sociaux de Turin, le centre de la construction sociale de Milan, le Mouvement de libération populaire, le Comité des locataires de San Siro. On peut relier ce succès des « Forconi » à celui de « L’Unione Sindacale di Base » aux élections syndicales à Ilva Tarente, la plus grande usine d’acier d’Italie (11 000 ouvriers), ainsi qu’à la réussite de la grève générale du 18 octobre et de la concentration sur Rome organisées par l’USB. A tous les niveaux, c’est la même collusion entre les pouvoirs politiques, économiques et syndicaux qui est rejetée : la « casta ».
La nation ne devient un thème de combat que si elle est construite comme menacée, mais alors les menaces ne peuvent être formulées que dans les termes que la nation impose. L’authenticité et la nation ne peuvent s’imposer comme l’idéologie sous laquelle vont opérer des pratiques conflictuelles qu’à la condition d’une autre transposition : il faut que le conflit économique ait été lui-même préalablement transmué en conflit culturel (il s’agit seulement d’une antériorité dans la construction logique, dans l’immédiateté du vécu, tous les thèmes n’existent que s’interfécondant). Les riches et les pauvres feront l’affaire.
d ) Riches et pauvres
Après ce que nous avons dit sur les rapports de distribution, sur la crise de la société salariale et ses injustices, sur la crise de l’Etat dénationalisé comme responsable de ces injustices, il n’ait pas besoin de nouvelles explications pour saisir comment des contradictions de classes deviennent des conflits entre riches et pauvres. La question qui apparaît est plutôt de comprendre comment de tels conflits transmuent en conflits culturels où les riches ne sont plus exactement ceux que l’on croit et où les pauvres se battent entre eux.
- Au commencement était la « valeur travail » qui engendra les « assistés ».
Dans un premier temps, il s’agit de « réhabiliter la valeur travail » (comme si elle en avait besoin). Les conquêtes ouvrières deviennent un droit à la paresse, à la fraude, à l’assistanat, aux avantages corporatifs, un obstacle aux évolutions. Mais il ne s’agit pas de livrer bataille aux travailleurs, mais à ceux qui ont dénaturé la valeur travail. Ainsi, les conflits de classes sont redéfinis de manière à ce que le clivage qui n’oppose déjà plus capital et travail, mais riches et pauvres, devienne, par la vertu de cette première transformation, un clivage entre deux fractions supposées du prolétariat : « ceux qui n’en peuvent plus de faire des efforts » et « les profiteurs et fraudeurs de l’assistanat ». Ce clivage s’est diffusé selon les circonstances et les besoins comme un antagonisme dressant les ouvriers et les « petites classes moyennes » tantôt contre les « nantis » résidant à l’étage du dessus ( employés à statut, main-d’œuvre couverte syndicalement et régimes spéciaux) ; tantôt contre les « assistés » relégués un peu plus loin, ou contre les deux à la fois.
De son côté, la situation et le mode de vie des riches, exposés à longueur de pages dans la presse people, semblent tellement inaccessibles qu’ils ne concernent plus ces travailleurs comme s’il s’agissait d’une autre humanité, d’un monde parallèle. Alors que le fraudeur aux Assedic ou à l’Allocation logement, lui nous vole : « Qui est-ce qui paye finalement ? ». Que les déficits publics aient été sciemment construits avec une constance remarquable depuis trente ans dans tous les pays occidentaux, conformément aux modalités de l’exploitation et de l’accumulation dans le capitalisme issu de la restructuration des années 1970 – 1980, ne rentre jamais en ligne de compte, sauf pour dire qu’on a été trop généreux. Dans ce processus de clivage, la fin de l’identité ouvrière n’est pas sans importance. Le recul de l’industrie et l’affaiblissement des collectifs ouvriers, la précarisation de l’emploi se sont traduits par un vécu du rapport au social et à la politique sur un mode individualiste dans lequel la valeur travail n’était plus une puissance collective opposée aux patrons, mais relevait du choix et du mérite individuels.
La ligne de fracture économique passe alors moins entre capitalistes et ouvriers, ni même entre riches et pauvres, mais davantage entre salariés et « assistés », « blancs » et « minorités », « travailleurs » et « fraudeurs ». Momentanément les mouvements « occupy » ont bouleversé ces clivages, mais sans réintroduire les fractures de classes significatives. Tout est resté une question de revenus et non de rapports de production, à une segmentation idéologique a succédé un amalgame idéologique sans signification.
Les « assistés », devenus « ceux qui ne veulent pas travailler », présentent en outre le grand avantage de pouvoir être le support de toutes sortes de distinctions non économiques : groupes ethniques, vie familiale éclatée et dissolue, drogue, criminalité.
- Et en prime dans ce clivage : le racisme
Dans le cadre de la « préservation de l’Etat social » ou de sa « restauration » au nom du contre-type social, économique et idéologique des « Trente Glorieuses », la nation, la citoyenneté nationale et « l’authenticité » s’entremêlent avec le clivage entre « ceux qui n’en peuvent plus de faire des efforts » et les « Autres ». Il ne s’agit plus de rejeter l’étranger au nom d’une vision racialiste de la nation, mais en vertu d’un idéal beaucoup plus consensuel : sauvegarder le « modèle social français ». Cette guerre à la fraude ciblant les étrangers a pour principal effet d’arrimer la crise de financement des systèmes de protection sociale à un problème d’identité nationale.
Cette racialisation de la « préservation de l’Etat social » suit un principe identique à la racialisation de la lutte contre le chômage. Il s’agit de ne jamais critiquer le système social et économique mais de faire en sorte que la concurrence entre les travailleurs inhérente au salariat fasse que la classe ouvrière se plie tant bien que mal aux conditions actuelles de crise. L’immigration n’est pas tant présentée comme la cause du chômage, ce qui ne résisterait pas à n’importe quelle analyse, ni à n’importe quelle expérience vécue de fermeture d’entreprise ; elle est présentée « seulement » comme aggravant les conséquences. « Activons ce levier à effet immédiat, puis traitons les causes structurelles » : c’était, en France, en gros, la position du PC au début des années 1980, et celle du FN maintenant.
Mais les travailleurs n’ont strictement aucun pouvoir ni sur la demande, ni sur l’offre de travail : si l’accumulation du capital augmente la demande de travail, elle en augmente aussi l’offre en fabriquant des surnuméraires. Les dès sont pipés. Ce qui synthétise et donne une cohérence à toutes ces menaces, c’est la mondialisation et la dénationalisation de l’Etat. Les lois de l’accumulation du capital qui créent nécessairement des surnuméraires deviennent secondes, elles ne semblent fonctionner ainsi que parce que la « communauté nationale » a été rompue.
Les conflits nés de cette rupture sont destinés à être résorbés sous la restauration de la nation, et la concurrence entre ouvriers n’est plus vu comme telle, mais en termes de plus en plus ethnicisés.
Si les travailleurs n’ont strictement aucun pouvoir ni sur la demande, ni sur l’offre de travail, ils n’en ont pas plus sur l’effet de l’armée de réserve sur les salaires, ni sur la segmentation et composition de celle-ci. Une grande partie de la classe ouvrière connait les effets d’une mécanique que l’on croyait disparue, celle de la paupérisation absolue. Mécanique dans laquelle s’exerce, dans la situation actuelle, le même processus de transmutation des contradictions de classes en conflits entre riches et pauvres mais surtout, sous l’égide du national, de l’authenticité, du peuple et du racisme, entre pauvres.
L’appel à des travailleurs immigrés est la façon la plus économique de trouver la force de travail meilleur marché correspondant à ce mécanisme de substitution (lié à la division du travail et au machinisme par lequel opère la paupérisation absolue) par lequel le travailleur autochtone se trouve évincé, et les patrons proclameront ensuite qu’heureusement « les immigrés sont là pour accomplir les tâches dont les nationaux ne veulent plus », étant évident que ces tâches conviennent aux immigrés par nature et que c’est leur présence qui fait baisser les salaires.
Une très large catégorie moyenne d’ouvriers demeure dans les pays occidentaux coincée dans le cadre national, ce qui ne manque pas d’être une source de conflits internes au prolétariat. Les travailleurs à bas salaires des villes globales, précaires, immigrés et de plus en plus féminins, n’appartiennent pas à un secteur retardé de l’économie, ce segment existe directement dans une économie globale et correspond à une organisation non nationale de segments du prolétariat. En liaison avec les autres communautés et leurs compatriotes émigrés dans d’autres pays, ils définissent des stratégies au sein du système global. Malgré leur précarité et leur misère, ces segments de la classe qui se constituent dans la mondialisation semblent, aux yeux de cette catégorie moyenne, tant économiquement que culturellement, avoir partie liée avec tous les « gagnants de la mondialisation ».
- Ensuite, arrivèrent l’Etat et les « parasites »
La réhabilitation de la valeur travail que l’on a vu précédemment à l’œuvre ne se contente pas d’opposer les « travailleurs » aux « assistés », elle a l’immense vertu de créer une troisième catégorie celle des « parasites ». Ces « parasites » sont facilement repérables, c’est l’élite, pas celle de la richesse, mais celle des diplômés arrogants, des experts en tout genre, s’agitant le plus souvent dans des agences de l’Etat qui réglementent et administrent tout, et qui non contents de s’engraisser sur les impôts, traitent le peuple authentique et ses valeurs avec condescendance. Ce qui oppose cette élite et le peuple, c’est ce qui oppose le travail au parasitisme et ce conflit se mène au nom des valeurs. Ce que la transmutation de la contradiction entre les classes en conflit entre riches et pauvres et par là entre travailleurs d’un côté et assistés et parasites de l’autre, produit de plus merveilleux, c’est d’aboutir à une définition des protagonistes en termes de valeurs.
Le principal effet pratique de ce confit culturel est de faire disparaitre le fondement économique de tous les conflits, ou plus précisément de faire du règlement d’un conflit culturel la condition du règlement des problèmes économiques. Cette élite improductive qui représente l’artifice contre l’authenticité naturelle du peuple occupe l’Etat et vit en parasite « en dévorant l’argent des impôts ». Les conflits tels qu’ils prennent forme dans la société salariale retravaillent les contradictions de classes de telle sorte que la problématique pour laquelle tous les organes de l’Etat sont des organes de classe est prise au pied de la lettre. Il ne s’agit plus d’organes de classe parce qu’expression et au service de la classe économiquement dominante, détentrice de tous les moyens de production, mais d’organes constituant en soi une classe, à son propre service.
Bien sur, dans cette séquence, il y a des grèves et des conflits sociaux, mais leur fond consiste en ce que tel ou tel capitaliste, telle ou telle entreprise ne remplit pas son rôle en tant que capital, les coupables entrent alors dans la catégorie des « parasites » et des « jouisseurs » contre les « vrais producteurs » et les « gens ordinaires ». Le mécontentement et même l’exaspération sociale acquièrent un sens qui exempte totalement le capitalisme si ce n’est une finance fantasmatique construite pour la circonstance. En séparant la question des conflits de classes des rapports de production, ce qui est le propre de la société salariale, une perspective exactement conservatrice, contenant tous les thèmes présentés plus haut, est ouverte que vient corroborer une expérience subjective bien réelle qui nourrit une hostilité de classe niant dans son expression son fondement économique. Que les luttes ouvrières strictement revendicatives et économiques soient nombreuses et prennent parfois un tour sauvage est un fait, mais on ne peut isoler ces luttes d’un contexte général dans lequel et par lequel elles prennent un sens qu’elles contribuent elles-mêmes à constituer.
En conclusion d’étape
Dans la séquence où nous sommes engagés, le problème actuel de la lutte de classe se résume au fait que le refus de la situation présente n’est pas son dépassement à partir d’elle-même, comme cela s’était amorcé dans les premiers temps de la crise, mais la volonté de retour à une situation antérieure. Mais tout cela est bien ancré dans le présent.
Ce n’est que maintenant, avec la crise de cette phase du capital et de son Etat et plus précisément avec son devenir comme crise de la société salariale et de l’Etat dénationalisé, que la disparition de tout l’assemblage social, économique et idéologique comme formatage de la vie quotidienne qui avait fini par faire système durant les « Trente glorieuses » devient manifeste et s’impose comme le résumé et la cause de tous les malheurs du temps. La situation actuelle elle-même fait que ce qui a disparu est promu en contre-type idéal à la société présente et à sa crise, à cet Etat, son injustice, son indifférence, son amoralité.
Dans cette séquence, tout se joue pour l’instant comme crise du rapport de l’Etat à sa société, et tout le monde y joue. Il y a une étroite combinaison entre crise du rapport salarial, crise de la mondialisation, crise de la société salariale, crise de légitimité et de reconnaissance de l’Etat dénationalisé, interclassisme et politique. Cette combinaison, ce nœud, c’est la séquence actuelle de la crise comme lutte des classes.
Quelles dynamiques à l’œuvre actuellement dans cette séquence ?
a ) La séquence crise de la société salariale est un moment de la crise spécifique du MPC tel qu’il s’est développé post restructuration
Avec la crise du rapport salarial devenue crise de la société salariale, c’est d’une contradiction tenant à cette phase du capital maintenant entrée en crise dont il est question. La contradiction interne de cette phase de la valorisation se situe entre le travail immédiatement productif et la condition même de ce travail productif : être une force de travail socialisée, “le general intellect”. » Nous sommes entrés dans cette crise et elle comporte le moment de l’interclassisme inhérent à la « force de travail socialisée ». Dans toute son ambigüité liée au rapport contradictoire au travail productif qu’elle contient, la crise de la société salariale constituent un moment que l’on peut historiquement situer et comprendre dans sa relation au mode de développement précédent..
b ) Instabilité de la séquence nommée « crise de la société salariale »
Dans leur généralité interclassiste, les mouvements sociaux qui, sur la base du salaire comme rapport de distribution, se cristallisent sur la légitimité de l’Etat vis-à-vis de sa société, désignent simultanément le salaire comme prix du travail, forme de répartition, et, de par la même généralité, tous les revenus comme dépendants du travail, ceux de la rente, du profit, de l’intérêt. Le salaire comme prix du travail désigne alors ce qu’il cache : le salaire comme valeur de la force de travail, travail nécessaire, et tous les autres revenus comme formes transformées du surtravail.
- c) Tension à l’unité
La « tension à l’unité » qui existe il est vrai dans les luttes interclassistes ne doit pas gommer les conflits ni laisser supposer que leur résolution est déjà donnée, que la jonction de ces luttes est inscrite en elles. La dissolution de la classe moyenne, le dépassement du stade des émeutes et le franchissement de ce « plancher de verre » que demeure vis-à-vis de la plupart des mouvements sociaux actuels la question de la production dépendent de pratiques conjoncturelles.
Pourquoi la classe moyenne n’œuvrerait-elle pas plutôt à la victoire de la contre-révolution ? Pourquoi dans la segmentation de la classe ouvrière, surtout dans des aires de vaste économie informelle, la fraction plus ou moins stable de la classe ouvrière ne verrouillerait pas ses luttes et les résultats qu’elle en espère, comme cela est apparu en Tunisie et en Egypte. En outre, cette « tension à l’unité » peut être absorbée dans la politique comme on l’a vu en Iran en 2009.
La communauté de luttes est loin d’être évidente au Brésil, Turquie ou Mexique, malgré une concomitance temporelle. Le problème central demeure celui du plancher de verre de la production. Non pas qu’il n’y ait pas de grèves, de mouvements revendicatifs ouvriers violents ou non, victorieux ou pas, mais jamais, semble-t-il, ces luttes ne s’articulent dans une synergie conflictuelle avec les « mouvements sociaux » dont ils sont pourtant la toile de fond permanente et nécessaire.
- d) La nécessité pour la classe capitaliste de s’attaquer au cœur du problème
La double déconnexion de la reproduction de la force de travail, les formes actuelles de la mondialisation, la dénationalisation de l’Etat et la question de sa légitimité qui cristallisent les luttes, la recomposition locale des classes dominantes, sont les formes actuelles d’apparitions de la crise. Mais, inexorablement la spécificité de la crise actuelle, comme crise du rapport salarial devenue crise de la société salariale, définit une situation dans laquelle la classe capitaliste mondiale est amenée à s’attaquer au cœur du problème : le rapport d’exploitation. Pour le mode de production capitaliste et donc pour la classe capitaliste, le dépassement-résolution de ces formes de manifestation est suspendu, comme, dans d’autres conditions, dans les années 1930 ou 1970, à une restructuration du fondement même du mode de production : le rapport d’exploitation. Ce passage nécessaire au cœur du problème c’est après le développement de la crise comme crise du rapport salarial en crise de la société salariale, son passage en crise de la création monétaire qui, dans la crise du rapport salarial dans laquelle elle s’inscrit, conserve et dépasse cette dernière en devenant crise de la valeur comme capital, la seule crise de la valeur.
- e) Irréductibilité du travail productif
Dans cette nécessité pour la classe capitaliste de s’attaquer au cœur du problème apparaît la question centrale du travail productif.
Si chaque prolétaire à un rapport formellement identique à son capital particulier, il n’a pas selon qu’il est un travailleur productif ou non le même rapport au capital social (il ne s’agit pas de conscience mais d’une situation objective). S’il n’y avait pas, au centre de la lutte des classes, la contradiction que représente le travail productif, pour le mode de production capitaliste c’est-à-dire ausi pour le prolétariat, nous ne pourrions pas parler de révolution (elle serait quelque chose d’exogène au mode de production, au mieux une utopie humaniste, au pire rien).
Les travailleurs productifs ne sont pas pour autant révolutionnaires par nature et en permanence. Dans leur action singulière qui n’est rien de spécial mais simplement leur engagement dans la lutte, la contradiction qui structure l’ensemble de la société comme lutte des classes revient sur elle-même, sur sa propre condition, car le rapport d’exploitation ne rapporte pas le travailleur productif à un capital particulier mais immédiatement, dans son rapport à un capital particulier, au capital social. Ce qui est constamment masqué dans la reproduction du capital (car il est dans la nature même du mode de production capitaliste que cette contradiction n’y apparaisse pas en clair : la plus-value devenant par définition profit et le capital étant valeur en procès) revient à la surface non seulement comme une contradiction interne à la reproduction (entendue ici comme l’unité de la production et de la circulation) mais comme ce qui fait que la contradiction elle-même existe : le travail comme substance de la valeur qui dans le capital n’est valeur que comme valeur en procès. La contradiction (l’exploitation) revient sur elle-même, sur sa propre condition. S’attaquer au cœur du problème, c’est marcher sur des œufs.
- f) La question du « plancher de verre » comme synthèse de ces dynamiques
Si l’on considère les larges mouvements sociaux et l’interclassisme, avec leur instabilité en tant que mouvements revendicatifs internes à la société salariale qui cachent tout autant qu’ils révèlent le salaire comme rapport de production, comme un moment nécessaire de la crise dans sa spécificité, si l’on considère la tension à l’unité comme problème non seulement du dépassement de l’interclassisme mais encore de la segmentation, si l’on considère la nécessité pour la classe capitaliste de s’attaquer au « cœur du problème » et, dans ce cœur, l’irréductibilité du travail productif, alors la synthèse des dynamiques à l’œuvre se situe précisément, tant du point de vue du capital que de celui du prolétariat dans ce point de rupture consistant pour la contradiction entre le prolétariat et le capital à franchir ce « plancher de verre » que constitue la production pour les mouvements sociaux existants se constituant au niveau de la reproduction, mais aussi pour les luttes revendicatives, aussi violentes qu’elles puissent être, à dépasser leur caractère revendicatif, à franchir un « plafond de verre ». Pour une lute revendicative se dépasser en tant que telle, c’est situer la contradiction entre les classes au niveau de sa reproduction. Il est vrai que le principal résultat du procès de production c’est le renouvellement de la séparation du travail et du capital. Mais cela ne va pas sans inclure l’existence de la circulation et de l’échange et l’activité de toutes les instances du mode de production dont l’Etat. C’est ainsi, à partir du procès de production mais dans des pratiques qui l’excèdent, qu’est posée et reconnue pratiquement l’appartenance de classe comme une contrainte extérieure imposée par le capital, c’est-à-dire imposée comme reproduction. Il est impossible de déterminer dans quel sens la « jonction » peut se faire, d’autant plus qu’il ne peut s’agir de « jonction », mais à partir de multiples luttes particulières de la création d’une situation absolument nouvelle changeant la donne pour toutes les luttes existantes : une conjoncture.
Il serait contraire à l’esprit de ce texte de conclure sur une envolé aussi générale. Si le franchissement du plancher et / ou du plafond de verre est la synthèse des dynamiques de cette séquence, elle n’a rien d’une inévitable nécessité, si ce n’est qu’elle est aussi le moment de la décision pour la classe capitaliste, le moment où se coagule pour faire sens les divers possibles d’une restructuration existant jusque là comme des linéaments incohérents pris dans le mouvement général dominant qui est celui de l’exacerbation des caractéristiques de la période s’achevant, cela comme dans la phase initiale de chaque crise. Si l’on considère cette synthèse, non comme la détermination générale de La Révolution, mais comme une possibilité spécifique de dépassement d’un rapport d’exploitation historiquement particularisé, il faut situer la possibilité de cette synthèse dans une conjoncture définie par l’ensemble des déterminations de cette séquence. On peut avancer l’hypothèse que la Chine, l’Asie du sud et du sud-est concentrent au mieux les ingrédients de la fusion : importance des luttes ouvrières prises entre l’asystémie de la revendication salariale et son caractère intenable ; ampleur des mouvements sociopolitiques, situation charnière pour faire basculer et rendre totalement inopérante le zonage de la mondialisation. Il ne s’agit pas de dire que cette région est d’ores et déjà ou deviendra celle des « maîtres du monde », mais que son importance et ses caractéristiques tant internes que dans le capitalisme mondial en font le « maillon faible » de ce monde. Nous avons là un tout autre travail à poursuivre.
Epilogue laconique
Nous sommes actuellement loin de la visibilité croissante et immédiate des contradictions de classes et de genre et de leur liaison avec la révolution et le communisme, le devenir idéologie parmi d’autres de la « théorie de la communisation » tant comme slogan que comme passeport académique plane sur nos têtes fragiles.
Théorie Communiste
Avril 2014
3 Commentaires
Un début de réflexion au présent ?
Classes d’encadrement et prolétaires dans le « mouvement des gilets jaunes »
mercredi 28 novembre 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 28 novembre 2018).
http://mai68.org/spip2/spip.php?article2519
https://agitationautonome.com/2018/11/25/classes-dencadrement-et-proletaires-dans-le-mouvement-des-gilets-jaunes/
Comprendre les Gilets Jaunes (et les enjeux politiques qui vont avec)
https://danslanebuleuse.fr/2018/11/28/comprendre-les-gilets-jaunes-et-les-enjeux-politiques-qui-vont-avec/
mercredi 28 novembre 2018
TROP TARD MACRON POUR RECYCLER LE MOUVEMENT SOCIAL EN « ECOLOGIE POPULAIRE » !
« Enfermée dans une posture de supériorité morale, la classe dominante a balayé d’un revers de main tout diagnostic du monde d’en bas ». Christophe Guilluy (No society p.149)
https://proletariatuniversel.blogspot.com/2018/11/trop-tard-macron-pour-recycler-le.html
Questions pour ceux qui luttent face aux CRS :
Maison du Peuple de Saint-Nazaire et alentours
https://www.facebook.com/Maison-du-Peuple-de-Saint-Nazaire-et-alentours-272152786819209/
Les stations-service européennes hors du diesel: la grève d’une raffinerie française aggrave la crise

par Tyler Durden
Mer., 28/11/2018 — 22:44
Écrit par Mike Shedlock via MishTalk,
Le diesel est rare en Europe. La situation est sur le point de se dégrader avec la fermeture de la plus grande raffinerie française.
Bloomberg rapporte que les ennuis du diesel en Europe s’aggravent alors qu’une grève stoppe la raffinerie de pétrole française .
Total SA, le plus grand raffineur de France, est sur le point de fermer sa plus grande usine du pays, Gonfreville, une centrale de 247 000 barils par jour en Normandie, en raison d’un conflit de travail, a déclaré mardi un porte-parole de la société. À quelques centaines de kilomètres, aux Pays-Bas, les stations-service de ravitaillement se font rares en raison des contraintes d’expédition sur le Rhin, selon Royal Dutch Shell Plc.
Le 20 novembre, Shell avait annoncé une réduction de la production sur son site de raffinage de Rheinland, le plus grand complexe de ce type en Allemagne, en raison des faibles niveaux d’eau du Rhin. Dans un tweet mardi, la société a déclaré qu’elle était temporairement incapable de fournir des stations-service sans personnel aux Pays-Bas.
Les stations-service allemandes étaient déjà à sec en raison de la situation sur le Rhin, un important couloir de transport de produits pétroliers qui relie les Alpes suisses au nord-ouest jusqu’aux Pays-Bas. La Suisse a libéré des stocks de carburant d’urgence en raison de la situation sur le fleuve.
La prime par baril de diesel sur le Brent — un autre indicateur de la vigueur du marché — s’est établie à 15,96 dollars mardi, le plus élevé de la période de l’année en six ans……
https://www.zerohedge.com/news/2018 – 11-28/european-gas-stations-out-diesel-french-refinery-strike-deepens-crisis
29 novembre 2018
VISITES DE LA POLICE ET DU FISC À LA GLORIEUSE DEUTSCHE BANK, LA FRANCE N’A RIEN COMPRIS!
La glorieuse Deusche Bank de la glorieuse Allemagne devant la quelle nous sommes à genoux 24H sur 24 est à l’agonie sous tous les aspects. Elle ne vaut plus rien Bourse, elle n’est plus recapitalisable, on refuse ses dettes, ses CDS sont dilatés, sa signature sur les marchés de dérivés est considérée comme douteuse.
La DB est l’enfant malade du système allemand, atteint d’un cancer et sa maladie n’est pas cantonnée. La DB c’est l’Allemagne, c’est son talon d’Achille et le gouvernement français ne le comprend pas et le l’utilise pas.
Ce gouvernemnt n’a rien compris aux relations entre pays: elles sont fondées sur la force et le chantage, c’est ce que fait l’Allemagne et au lieu de faire comme elle le gouvernement français réagit comme un gamin , il se couche.
Le lien enrte la DB et son souverain est évident et personne n’ose déplaire à l’Allemagne et tracer ce lien: en cas de défaillance de la DB, le budget , l’endettement et la situation financière de la Grande Allemagne implose. C’est l’Allemagne qui a besoin de l’aide de ses voisins, eh oui!
Macron n’a pas l’étoffe c’est évident ; il a l’étoffe vis a vis des plus faibles qu’il méprise et martyrise mais il n’a pas l’étoffe pour affronter le colosse aux pieds d’argile qu’est l’Allemagne.
La situation de la DB avec le risque potentiel pour l’Allemagne est bien plus grave que la situation des banques italiennes vis a vis de leur souverain, c’est cela que Macron ne comprend pas.
L’Allemagne n’est pas en position de donner des leçons à qui que ce soit , d’ailleurs on ne le dit pas mais Merkel est couchée à longueur de journée devant Trump, elle crève de peur de lui déplaire car elle sait que sa DB et son secteur auto peuvent tomber d’une pichenette.
Merkel est une baudruche et Macron au lieu d ‘être lucide et de le voir et d’en tenir compte préfère terroriser son peuple.
https://brunobertez.com/2018/11/29/visites-de-la-police-et-du-fisc-a-la-glorieuse-deutsche-bank-la-france-na-rien-compris/
Voir la critique de ce texte sur le site de Patloch:
http://patlotch.forumactif.com/t92-gilets-jaunes-couleurs-d-une-colere-sociale#364
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